Enigme : je ne suis pas Orphée de retour des enfers, je reviens pourtant des Abymes, qui suis-je ? Un participant à la « balade gourmande » vigneronne autour d’une appellation savoyarde : pour la sixième édition, le Cru Les Abymes (15 km de Chambéry à Apremont, à côté de la Maison des vins de Savoie) était à l’honneur. Datant de 1973, ces Abymes fêtent donc leurs 40 ans, en même temps que l’ensemble des vins de Savoie, qui conviaient la veille à un beau repas anniversaire sous chapiteau blanc, au bord du lac de Saint-André, déserté par les baigneurs au crépuscule de cette chaude et limpide soirée du 20 juillet…
Des Abymes gourmands, une randonnée vigneronne :
L’Abymes est issu de la jacquère, ancestral cépage savoyard, en bouche de belles surprises fruitées. A tel point qu’il représente 50 % des vins de Savoie, s’étendant en tout sur 2200 hectares et quatre départements (dont 80 % en Savoie). Pour leurs 40 ans, les projets sont nombreux : côté environnement, on signe la charte des bonnes pratiques, le bio représente 5 %. Côté viticole, on s’oriente vers le haut de gamme pour les vins de cépage Mondeuse. Car sous l’influence d’un consommateur qui boit moins (deux petits litres par an pour la majorité) mais mieux, les viticulteurs jouent la qualité. Un autre projet aboutira bientôt : la reconnaissance de l’appellation Crémant de Savoie. Pétillants dans l’élégance, les crémants légers ont le vent en poupe. Leur diversité fait leur charme. Ainsi de ceux de Savoie, par nous testés, prometteurs grâce à leurs cépages locaux (altesse ou jacquère). Pierre Viallet, président du Comité interprofessionnel des vins de Savoie : « On espère une première récolte en 2014 et une commercialisation en décembre 2015. »
Et pour l’oenotourisme ? Deux territoires labellisés Vignoble & Découverte en deux ans, la Maison des vins et cette balade gourmande de 9 km (annuelle et tournant d’une appellation à l’autre) du 21 juillet. Aparté : ces randonnées gentiment rabelaisiennes le long des vignes, mêlant beauté de la nature, culture au double sens du terme, animations historiques et musicales sont une invention géniale. Elles se développent partout depuis 2003. Il y en a de paresseuses : 6 km seulement en Languedoc-Roussillon (autour de l’appellation La Clape) ou dans le Vaucluse (Rasteau) en mai. Celle des vins du Bugey dans l’Ain, en août ? 10 km : on doit commencer à sentir dans les jambes le dernier menant au dessert !
Celle d’Abymes, entre parcs naturels de la Chartreuse et des Bauges, doit son nom à la plus grande catastrophe naturelle du Moyen Age : en 1248, le bout du Mont Granier s’écroula, pulvérisant 16 communes, dont Saint-André, alors siège de la Savoie. Bilan : 9000 disparus. Evidement, on crut à un châtiment divin. Un terroir chaotique unique, en patois l’Abis, source de légendes, venait de naître. Et resta marqué pendant des siècles. Mais aujourd’hui, rien d’infernal ! Plutôt une bénédiction, cette balade, avec sept étapes gourmandes préparées par Michaël Arnoult, chef deux étoiles du restaurant Les Morainières, à Jongieux.
En tout, 283 bénévoles conviaient 2300 inscrits (les tickets à 38 euros sont partis en une semaine début mai) à travers les communes de Chapareillan (Isère), Les Marches et Myans. Départs échelonnés par petits groupes de 9 h à 11 h 30 du lac Saint-André, de sorte qu’on ne sentira jamais de flux massifs tout au long du parcours. Evidement, des jeunes s’oublient – se lâchent – dès les premières étapes dégustatives. Question d’expérience : il faut se ménager pour lire les panneaux sur le terroir, rencontrer historien, géologue, douaniers et une Vierge noire qui aurait limité les dégâts. Ceux de 1248 s’entend, dans une église de Myans.
Le tout
sur fond de cor des Alpes, orgues de Barbarie, violon, reprises de Joe Dassin (sic) et trompes de chasse résonnant dans les monts. Qui en paraissaient comme décoiffés. Logique, eu égard à leur passé !
Finissons par le menu : escargots du pays à l’ail des ours, sablé et girolles un rien sableuses, lavaret du Bourget, quasi de veau au jus de Mondeuse, brochette de fromages fermiers, crème légère miel de sapin, fraises et crumble. Le tout ponctué de moult blancs (deux tiers des vins de Savoie) et de rosés (on les connaît moins) sympathiques. Au milieu, un piège redoutable : le trou savoyard à l’eau-de-vie de poire, bien servie. A éviter ? Ce fut mon cas. Pas celui d’un couple de distingués randonneurs croisés après, à l’étape du plat chaud : « C’était bon, mais après, on s’est allongés une demi-heure… » La pause s’impose ! L’an prochain, la balade aura lieu à Chignin ou à Seyssel, côté Haute-Savoie. Gageons que ce sera aussi divin…
Christophe Riedel
Renseignements : www.vindesavoie.net