Au lendemain de la cérémonie des César au cours de laquelle Vincent Munier et Marie Amiguet ont reçu le César du meilleur documentaire pour leur film « La Panthère des neiges », le couple est de retour dans les Vosges. Emu et fier de cette reconnaissance.
C’est une chouette adaptation panthère du roman de Sylvain Tesson inspiré par sa collaboration avec Vincent Munier, qui a la patience d’ange taiseux des photographes animaliers. Et sa très charmante compagne, la réalisatrice, aussi patiente que son homme…
Tesson est un voyageur intérieur au long cours… Il est bien reconnu depuis le récit de ses six mois « en cabane en Sibérie. » Au bord du lac Baïkal. Puis, peut-être par sa chute de 10 mètres après une soirée arrosée (pour fêter la remise du manuscrit de son livre Berezina). Il avait tenté par défi (il aimait tant grimper à tout ce qui dépasse et en faire pari) d’escalader une façade de maison à Chamonix, celle de l’auteur Jean-Christophe Rufin, un ami.
Cette chute, entre autres séquelles, le défigura par paralysie d’un côté. Et peut-être le consacra à mes yeux: avoir survécu à une telle épreuve. Une nuit, une chute, deux ans de souffrances, voilà qui a encore affûté le regard d’un aventurier (intérieur avant tout) contre tout guerrier (un clin d’oeil à la chanson d’Indochine).
Sylvain T n’est pas un aventurier. Il est un produit de la ville, fils d’un éditorialiste du Figaro bien connu. Il ne cherche à mettre la main sur aucun trésor matériel. Il (a) fait de sa vie un tesson de verre bien taillé, un regard affûté par les épreuves, un trésor à chercher avec les yeux. Le réel, au lointain ou au proche, est le trésor d’une fine plume décrivant le vécu du visible. Comme avant lui les Segalen, Cendrars, Bouvier… Et bien d’autres, dont certains contemporains.
Une aventura immobile : l’affût
Le photographe animalier Vincent Munier, la réalisatrice Marie Amiguet et l’écrivain Sylvain Tesson offrent un documentaire passionnant sur les traces de » Leur panthère des neiges » au Tibet. Une aventura immobile : l’affût. L’affûtage des yeux, aussi...
Sélectionné au dernier Festival de Cannes, ce film est à découvrir vite, tant le grand écran est infidèle (il est sorti le 15 décembre 2021).

Double bonus
Cette adaptation, coréalisée par le photographe et sa compagne Marie, est une vraie fiction de foi (en la force du sauvage, du solitaire, de ce qui se cache à l’homme). C’est plus qu’un documentaire. Elle n’a pas de ton didactique pesant, elle est garantie sans voix off, sans ton d’institutrice positive. Et sans l’espèce de ton moralisateur ou larmoyant des amis du Vert. Il y a les faits et les mots : ceux de l’inspiration du roman de Sylvain Tesson chez Gallimard. Qu’on avait avalé avec un plaisir certain.
Amie, guette !
Le film Une bonne adaptation de l’esprit du livre, où Sylvain Tesson retranscrivait les voyages et l’inspiration du photographe, avec le souffle textuel qui lui est propre. La boucle de la recherche de beauté y est bouclée… « avec les cornes des yaks, des totems envoyés par delà les âges »…
« Allez, je vais mettre mes chaussettes chauffantes. Les pieds, c’est ce qu’il y a de plus terrible à l’affût. » commente Sylvain Tesson. Ça, c’est du concret…




« On est tout de suite repérés, alors, la panthère, tu penses ! Ça va être super compliqué. » Le métier de Vincent Munier est de veiller sans fin. Il avait rencontré Sylvain Tesson à la projection de son film sur « Le loup d’Abyssinie ».
Nos deux aventuriers intrépides de l’immobilité lisent et analysent les paysages. Et en passant les failles de l’être contemporain, rongé par l’excès de monde, autant que par son artificialisation sans fin. Enfin, surtout Tesson. Munier se montre plus discret : il est un œil avant tout.
« Ce matin-là, Munier voulait me montrer les yaks sauvages, la difficulté d’approcher. Car ils sont très territoriaux quand ils sont en rut… »

Ce qu’on peut attendre de l’affût ? « Sans doute rien, jamais »
Par opposition au toujours, au trop plein, au pop corn des images de la société du spectacle, on est à l’affût des images essentielles.
» Nous avons perdu nos sens, on est des gros ballots en se hissant à 5000, dit Vincent. Leur dialogue est aussi pertinent quand il aborde la fameuse perte de sens du citoyen du Monde urbain. La quête de sens est une panthère peu visible…
« Rencontrer un animal est une jouvence… » marmonne Sylvain derrière ses jumelles. « Avoir un œil sur des bêtes sauvages, c’est un judas magique… » dit ce Tesson malicieux, à l’allure caucasienne… ou d’un renard tibétain. Il s’autocritique en se demandant « si mon imagination ne distort pas tout ». Ah oui, l’écrivain aime faire des mots. il se demande s’ils ne sont pas vains. Maus ne peut s’en empêcher. Vingt mille lieux sous le regard…
En tout cas, ses mots, peut-être en excès parfois, comme il le dit lui-même, sont beaux. Sa gueule tordue depuis sa chute d’un toit, sa gueule d’aventurier à la Blaise Cendrars, coupé au bourgeois parisien en costume noir des cérémonies, est un pur bonheur à observer, avec ou sans jumelles. Il est comme vous, comme moi, un produit de la ville. Tentant de s’en affranchir. De s’en libérer… Résigné à y revenir, puisqu’il en fait partie ?
Un vrai cadeau de Noël pour la panthère tibétaine ? Cela lui est bien égal. En tout cas, ce documentaire en quête des neiges d’un éternel insaisissable, de ce qui se dérobe, est cadeau pour les yeux. Et un peu de Baume du tigre déconnecté pour l’âme humaine…
« Quand la panthère est en vue
C’est là que te prend l’envie
De t’étirer
Pour te rappeler que t’es en vie
Voler le feu
Porter en soi le tison de « Tout ce à quoi on a renoncé » aide à aimer le monde…
J’ajouterai, propulsé par cet élan filmique…
Vénérer ce qui s’offre en se cachant
En forêt, en montagne
Avoir foi en cette poésie
Lutter pour que demeure,
ce monde sans hommes,
Contribuera a être moins… vénér par ce que le monde faut de nous ?
Loin de Paris Les retours vers le monde (la France, les Vosges pour Vincent Munier) sont parfois un peu compliqués. » Être ailleurs, c’est une fuite, aussi. Quand on voit comment le monde part en vrille… Vivre en harmonie, par exemple comme dans le grand Nord, c’est ce qu’on a en plus « en étant ailleurs, dans le monde sans les hommes…
Bande-son : la douceur d’Agnès Obel
À un moment survient le fameux et suave morceau musical d’Agnès Obel, qui est mon préféré. Une douce mélopée, une voix cristalline.
Pour moi, la musique d’Obel est résonnance de tant de trajets sur des routes des vacances, en voiture, emmené par ma compagne, puisque je ne conduis pas (mon père ayant cassé la pipe au volant, cela m’en dissuada, à tort ou à raison).
Une chanson de Nick Cave en fin de film évoque la geste glorieuse de peu, la modestie en marche des randonneurs et autres micro-aventuriers du regard immobile…
En sortant de la projection, je croise en traversant une rue un petit hérisson écrasé, extra-plat du coup. Le pauvre n’a pas fait plus que 10 mètres en sortant d’un parc parisien avant de se faire scrasher. La ville n’est pas faite pour lui. Ni pour nous ? On s’adapte, on se résigne à la ville. En tout cas, n’est-elle pas le plus souvent une redoutable « souricière à rêves » ?

Au départ, ce projet était-il un film ?
Vincent – Nous n’avions pas l’intention de partir pour faire un film cinéma. On l’a construit sur la même base que lorsque j’écris un livre, sans contrainte. Nous sommes partis la fleur au fusil. Ce n’est qu’au fur et à mesure de notre travail que nous nous sommes rendu compte que nous avions accumulé beaucoup d’images et donc de quoi proposer un documentaire pour la télévision. Un producteur nous a poussé à voir plus loin en nous assurant que nous avions matière à un film pour le cinéma.
Marie – J’étais venue filmer la rencontre entre deux bonshommes d’univers différents, partis à la découverte de la panthère des neiges, dans l’Est du Tibet, sur des plateaux situés à 4 500 m d’altitude, dans un paysage très sec et aride. L’immensité à perte de vue, que nous pouvions associer aux nombreuses vidéos animalières que Vincent avait accumulées lors de ses 5 voyages précédents, nous offrait matière à faire.
Quand a débuté le tournage ?
Vincent – Il s’est effectué en plusieurs parties. La première était en septembre 2018, pendant la saison des amours. Nous avions donc plus de chance de voir la panthère. Il ne faut pas oublier que c’est un gros chat qui peut dormir très longtemps. Nous devions donc tabler sur une période de l’année où il allait sortir plus longtemps. Nous sommes revenus, ensuite, en septembre 2019, avec de très belles images de la panthère et des paysages. Personnellement, moi j’y étais déjà allé en 2011. La différence qui nous a contraints lors du tournage en 2018 et 2019 était sur la situation politique. Il était difficile, par moments, de faire comprendre aux locaux que nous n’étions là que pour filmer une panthère.
Comment avez-vous préparé les tournages ?
Vincent – Il y a eu beaucoup de repérages avant de choisir les sites idoines pour filmer. C’est une des qualités que doit développer un photographe animalier : la patience et le choix du spot. Dès l’âge de 12 ans, j’ai eu la chance d’habiter à proximité de la nature et d’avoir des parents qui en étaient amoureux. Ce sont ces instants passés seul dans cette nature vosgienne qui ont forgé mon expérience et mon désir d’aller voir la faune et la flore d’encore plus près. Et, rien de tel que de se mettre dans la peau d’un animal que l’on veut voir. Il faut réfléchir comme lui, imaginer les endroits où il va passer, se mettre dans son rythme de vie. Durant tout notre séjour, la panthère nous a donné des leçons. Elle savait que nous étions là et elle nous a donné ce qu’elle acceptait de nous donner en images.
Marie – Comme Sylvain Tesson, je n’étais pas expérimentée et donc je suivais les directives de Vincent. Je me collais à plat ventre par terre, je rampais, je me faisais discrète, soit derrière eux, soit sur le côté, et je me transformais en caillou, sans plus bouger. Alors, je filmais tout ce qui se passait, et rien n’était écrit…
Sylvain – En février 2018, le photographe animalier Vincent Munier reprenait le chemin du plateau tibétain pour la quatrième année consécutive. Au cœur de l’hiver, par des températures descendant sous les – 30 °C, il retournait dans le haut bassin du Mékong et sur les franges septentrionales du plateau du Chang Tang afin de pister deux de ses animaux fétiches: le yack sauvage et la panthère des neiges. Du premier il ne reste que 15.000 spécimens sur la Terre. De la seconde, moins de 6000. L’aire d’habitation du félin recouvre les reliefs de la haute Asie, dans un quadrilatère bordé au nord par l’Altaï russe, au sud par la chaîne de l’Himalaya, à l’ouest par le plateau du Pamir et à l’est par les contreforts du Thibet (par conservatisme j’use de la vieille orthographe, celle de Victor Segalen)…
Le lien vers le film La panthère des neiges est ici, la bande-annonce avec.
– 2021 – France – 92min – 1.85 – 5.1
Ce voyage a inspiré le livre de Sylvain Tesson La Panthère des neiges (Gallimard 2019). Il a obtenu le Prix Renaudot 2019.
Deux parcours
Marie Amiguet – Biologiste de formation puis diplômée d’un Master de cinéma animalier (IFFCAM), la réalisatrice franco-suisse Marie Amiguet tourne avec Jean-Michel Bertrand La Vallée des loups et réalise Avec les loups, un portrait du cinéaste. En 2017, elle rencontre Vincent Munier avec qui elle signe Le Silence des bêtes, coup de gueule contre le braconnage des lynx. Puis elle s’embarque dans l’aventure au Tibet pour filmer la rencontre de l’écrivain et du photographe.
Vincent Munier – Photographe, cinéaste et éditeur, amoureux des grands espaces et sensible à la poésie du monde sauvage. Des Vosges à l’Arctique en passant par le Tibet,
il tente, via ses photographies, livres et films, de partager sa passion et surtout d’alerter sur le besoin vital d’être en harmonie avec les autres êtres vivants. Il a fondé Kobalann Éditions & Productions en 2010 et est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont Solitudes, Arctique et Tibet, minéral animal…
À lire en actualité, le début de ce récent article sur Vincent Munier… et sa « Vosgitude » (réservé aux abonnés du Figaro).
NB : Le film sera diffusé une fois sur Arte en 2022. Mais c’est pas pareil que bel et grand écran !
Bonus : chronique de l’accident de Sylvain T…
Est-ce qu’il apparaît Léo, la belle Humanité du roman ?
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