(Se) Réparer, mot clef d’une époque irrémédiable (comme toute époque)

Réparer est devenu un leitmotiv. L’on voudrait toujours plus réparer l’impossible, l’irrémédiable, l’insoluble, l’indissoluble… Le souci de réparation est devenu permanent.

Notre besoin de consolation est-il irréparable ?

Une question sans réponse. Une allusion au livre du fugace écrivain Stig Dagerman. *

De cette aspiration à la réparation, Téléramuche fit sa une de Noël Vingt. Évidemment…

Il s’agit de faire du bien. S’en faire. Le besoin de réparation est insatiable. Il est devenu permanence. On veut donner réparation aux gens, aux peuples lésés. Par le colonialisme, par exemple. Cela est très bien.

On voudrait aussi pouvoir se donner réparation des torts, des préjudices qu’on a pu causer. Pouvoir réparer son propre irrémédiable.

Chez les gourous, toutous commerciaux et charlatans du bien-être et du développement, le besoin de réparation prend donc des formes, des préparations commerciales. Les rayons livresques en sont bien garnis.

De toute façon, nous avons besoin d’illusions

Mais pas seulement

Il y a des gens très bien travaillant ce matériau, aussi, la réparation. Tout comme des tas d’association de Ouin-Ouins, dont les causes sont plus ou moins discutables. C’est une vogue sans fin.

Mais je ne voudrais pas être réducteur. Je veux me réparer les fissures à la feuille d’or ou d’argent !

Cela commença avec la psychanalyse, qui réparait l’âme ou l’esprit. Puis vînt Boris Cyrulnik et sa sacro-sainte résilience, idée-force mise à toutes les sauces depuis.

Puis vînt « Réparer le vivant », de la romancière Maylis de Kerengal. Elle y relayait les fabuleux progrès de la chirurgie, de la neurobiologie. Bonne idée que de les encenser.

Car il y a là un merveilleux gisement et potentiel de progrès. Il y a 20 ans, l’auteur de ces lignes aurait d’ailleurs été emporté, sans ces progrès. Il est déjà un homme transformé, par sa réparation.

Être capable de réparer

On voudrait aussi, à juste titre savoir, apprendre à réparer tout soi-même. Plutôt qu’être empoté. Pour éviter le consumérisme aussi, la dictature du neuf, le diable de l’obsolescence programmée.

Les transhumanistes voudraient réparer les ultrariches pour les rendre éternels. Cela viendra, servi sur de beaux draps de placenta en cellules- souches ?

Ni plus, ni moins : Kintsungi

Il y a beaucoup plus simple pour réparer un pot cassé. Et se réparer soi-même un peu. Au passage. Pour le baume à l’âme.

Mais quel impôt intérieur faudrait-il pour cela payer ? Eh bien, versez un peu de feuille d’or dans les fentes d’une âme meurtrie, dans les blessures d’ Aguirre ou Parsifal, et le tour sera joué.

On vous livre à domicile une jolie assiette à recoller. Ce qui est d’un triste. Bon, c’est une solution de bric et de broc. Normalement, c’est un Atelier paré des vertus du créatif en collectif. Mais à la lisière de 2020 et 2021, on ne pouvait plus reunionner. On bricolait donc pour créer un peu de valeur ajoutée… Les ateliers reprendront vite.

Donner une seconde vie aux objets en céramique abîmés… 

D’où l’idée de « l’Atelier Geneviève », inspiré par l’art japonais Kintsugi. Encore une box, autre tarte à la crème,autre ficelle de marketing facile,propre à l’époque.

Une box DIY à recevoir chez soi qui permet de réparer les sentiments, émotions et objets cassés. En les recollant, en soulignant leurs jointures à la poudre d’or. 

Le mot Kintsugi vient du japonais Kin (or) et Tsugi  (jointure) et évoque l’art de réparer un objet cassé en soulignant ses fissures avec de l’or plutôt que de les masquer. Non seulement reconstruit, l’objet s’en trouve également sublimé. Cette technique ancestrale, découverte au XVème siècle au Japon, met en valeur ses failles grâce à un filet d’or.

 » La méthode traditionnelle ne pouvant être réalisée en quelques heures, l’Atelier Geneviève propose une version simplifiée et accessible à tous. Cette activité créative apporte du baume au cœur en cette fin d’année particulière. Le coffret contient de la colle en résine, du laiton pour l’aspect doré, argenté ou cuivré, le matériel nécessaire, une notice illustrée, ainsi qu’un lien vers un tutoriel vidéo. L’ensemble convient pour plusieurs utilisations, selon la taille des objets. En quelques heures la pièce est réparée et sublimée. 

Plus qu’un loisir, une véritable philosophie de vie. Pour seulement 29€, disent-ils. Elle est pas belle, la vie ?

Allez, ce poème de saison du futuriste italien Ungaretti,sur ce qui s’échappe et veut revenir, nous fera le plus grand bien. Pour nous sentir mieux dans notre assiette ?

Giuseppe Ungaretti (1888-1970)

Natale

Non ho voglia
di tuffarmi
in un gomitolo
di strade

Ho tanta
stanchezza
sulle spalle

Lasciatemi così
come una
cosa
posata
in un
angolo
e dimenticata

Qui
non si sente
altro
che il caldo buono

Sto
con le quattro
capriole
di fumo
del focolare


Noël

Je n’ai pas envie
de plonger
dans une pelote
de ruelles

J’ai une telle
fatigue
sur le dos

Laissez-moi ainsi
comme une
chose
posée
dans un
coin
puis oubliée

Ici
on ne ressent
que
la bonne chaleur

Je reste
avec les quelques roulades
de la fumée
dans le foyer


Infos pratiques www.lateliergenevieve.fr

* « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » (1952)
De Stig DAGERMAN (1923-1954)
Traduit du suédois par Philippe Bouquet
Ici, vous trouverez le texte intégral de ce petit essai fulgurant réparant une courte existence.

L’Atelier Geneviève se positionne comme  » le premier Céramicafé de Paris à avoir ouvert ses portes, en 2018″. Une adresse innovante pour créer, partager, rêver, apprendre et s’inspirer. Un lieu où il est possible de personnaliser des objets en céramique autour d’un verre, d’un déjeuner ou d’un apéro. Tous les produits sont sélectionnés avec soin (thé bio, café éthique, bière brassée à Paris, hi hi ! Et bien sûr cookie vegan,etc)… Bon, je vais recoller mon assiette bleue du Japon.

Pour raccomoder le bleu de mon âme.

Enfin viennent toutes les formes de réparation que l’on voudrait obtenir personnellement. Pour des maux sans nom. Réparer ce à quoi l’on arrive même pas à donner un nom.

En dédommagement de dettes, de dommages symboliques ou réels.

Les réparations de soi. Celles venant d’autres, destinées à d’autres, d’instances, d’institutions.

Bref, on a compris !

Seul un P…

sépare (se) réparer et (se) préparer

http://www.myowndocumenta.art/il-y-a-un-an-et-un-jour-sur-leur-gouttelette-presque-impalpable/

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