Chemins cambodgiens, retraite secrète…

De Phnom Penh à Kep

Après cinq jours de visite urbaine teintée de pure dérive à l’instinct, teintée de pauses-recharge à quelque petit carrefour (à regarder passer les gens comme une vache normande ou indienne en version touristique), de la Pagode Royale au Musée National, d’une rivière à l’autre (Mékong et Tonlé Sap), d’une ruelle pisseuse à une artère à la circulation maléfique ( comme ce sang battant dans nos tempes pendant le temps qui nous est donné, ce sang qui pulse plus à notre poignet et le long des tempes les jours où l’on est fatigué), je quitte Phnom Penh en car « Giant Ibis »vers la Côte Sud, à trois heures…

Ce sont les plus sûrs et confortables, les cars de l’Ibis géant, m’a raconté Nathalie, tenancière avec son mari d’un joli rbnb, une maison de bois de style colonial à la périphérie de la ville, à laquelle elle a ajouté une extension dans le style khmer traditionnel beaucoup plus roots. Elle me confiera un matin – après une longue discussion de fond, une de ces mises au point comme seuls peuvent en faire les gens qui, ne se connaissant pas, sont prêts à tout s’avouer pour mieux l’oublier à jamais juste après car ils ne se reverront jamais – qu’elle se demande parfois ce qu’elle fait dans ce rêve éveillé du Cambodge.

Elle dit qu’elle n’y serait peut-être jamais allée pour y créer un business si elle n’avait pas été durant la période qui précéda son départ dans un état second du à la prescription de molécules d’anti dépresseur par un ami médecin comme on n’en voudrait point.

Il ne s’agit pas pour autant d’un déni, d’un désaveu, elle adore ce pays. Elle éprouve parfois peut-être ce sentiment d’irréalité de ceux qui sont (parfois)  bien loin de leur Tout  et toutou d’origine. Le sien était au Congo, d’ailleurs, où son père tînt un restaurant étoilé.

J’aime beaucoup Nathalie. Elle et son mari. Ils font du bon boulot, leur lieu marche très bien. Ils engagent des jeunes, ils les forment à la cuisine et au service en salle (ici réduite à une cour charmante où les moustiques attaquent comme partout), ce qui leur permettra par la suite de se revendre mieux ailleurs.

Leurs jeunes filles sont si attentionnées qu’on en oublie vite parfois les piqures de rappel qu’il faut parfois faire pour obtenir, non pas ce qu’on voulait, qui arrive très vite, mais la correction de quelques bémols sur la préparation du plat. Trop de gingembre, par exemple.

Nathalie raconte la corruption du système aussi, cette gangrène qui ronge tout comme moi les fibres du gingembre ou du piment qui explose en bouche quand on lui cherche des poux. Elle raconte comment l’entourage de la famille dirigeante se livre à des pratiques mafieuses en toute impunité. Comment un joli business  de lieu chic quelle avait fait construire et monté avec ses billes à elle (on parle de quelques centaines de milliers d’euros) et leur aval dans le cadre d’une association lui a été repris illégalement trois mois plus tard, en toute impunité bien sûr.

En car Giant Ibis, je quitte Phnom Penh.

La traversée de la ville, le pont sur la rivière, les paysages vus de la route dans la campagne, ponctuée d’humbles mais heureuses maisons en bois sur pilotis, lotus en fleurs dans la mare, vaches devant, buffles en rizières derrière, enfants jouant devant, paradis modeste des déshérités heureux malgré tout, comme ils le peuvent, heureux comme ils sont, souriants comme les khmers sont, sont appréciés à leur juste valeur…

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Kep : ex perle de la Côte Sud, en résilience, du charme, du passé

Kep : Les habitants de Phnom-Penh en aiment le calme, à déguster dans le folklore culinaire des petits restaurants du marché grillant le crabe aux pinces bleues sorti des nasses par les pêcheuses du port.

Effigie de la ville, le crabe est en sculpture sur la mer. A côté d’un kiosque sur l’eau où de jeunes employés en chemise blanche-cravate noire viennent en pause-déjeuner et moi en vélo de la petite route du front de mer, que traversent prudemment des  des singes descendant de leur bout de forêt pour grappiller dans les poubelles. Le dominant m’intime de partir quand je franchis sa limite (à moins de cinq mètres de sa bande). J’obtempère.

Nous sommes près de Kampôt, ville connue pour son poivre : vert, noir, blanc. L’AOP a été obtenue par le travail d’un français et de sa femme belge sur leur site : « La Plantation ». Belle demeure signature d’architecte, tout cela élégant, on y est très gentil avec le visiteur. Comme les Cambodgiens en général, d’ailleurs, flattés que leur pays soit redevenu fréquentable.

Kep, crabe et calme

Kep doit son nom à sa plage en forme de selle de cheval. Ma foi, un croissant ? C’est une petite station balnéaire en pleine revitalisation. Etrange aussi. Elle fut le Saint-Tropez du secteur (le Roi Norodom Sihanouk y avait sa maison) jusqu’à l’arrivée des Khmers rouges en 1975. Qui fusillèrent ou déportèrent dans les rizières tous ceux portant des lunettes…

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Kep agit comme un charme trouble. Quand on traverse le bourg la première fois car de ci, de là, on voit les ruines brûlées de villas cinquante en béton, entre deux maisons ordinaires. Un élève du Corbusier les a construites : Vann Molyvann, 90 ans. Un bon article sur lui se lira ici : 360degresvietnam.com/vann-molyvann-cambodge

Fenêtres et portes des villas de style brutaliste sont exorbitées comme des yeux vides…

En fait, les Vietnamiens, durant leur Occupation du pays (postérieure au départ des Khmers rouges) jusqu’en 1989 ont tout emporté. Arrachant jusqu’aux montants des portes par traction de char russe. Cela impressionne encore.

Mais la résilience est là : L’ex maison du roi Sihanouk, restaurée, est d’un vert aussi pimpant que les grains de poivre vert de Kampôt sont doux, servis avec tout. La plage est belle et familiale. Un projet des restauration d’une autre belle villa s’est perdu en route car les associés se sont engueulé, m’explique Herry, propriétaire du Samanea, dont on voit ici ma villa…

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Oui, on est bien ici, au marché au crabe. Et au au bord de la piscine, à absorber l’aube dans la mangrove privée au fond de laquelle on peut dîner sur demande. Non, il n’y a pas de moustiques : c’est un milieu saumâtre.

Un matin, je pars faire la boucle facile (8 kilomètres en 3 heures) du joli Parc national de Kep. Bien belle expérience. sauf qu’on m’a raconté une histoire de morsure de serpent juste en m’y déposant. Comme ça me travaille le Surmoi, je suis moins aventurier que d’habitude. Enfin, quand même plus que la moyenne : je vais crapahuter un peu entre les sentiers, qui ici ne sont pas battus de toute façon. Il n’y a presque personne.

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En revenant, une vache au cou dentelé meugle sur la route quand on la double à vélo. Faut-il y entendre un signal ? Serait-elle complice du carillon des vendeurs de glace à vélo qu’on croise peu après ?

En face, au loin, pas pas tant, les monts Eléphants, fin du massif des Cardamone.  Qu’on voit de façon privative du bout d’un ponton interminable : 207 mètres, je n’en connais pas d’équivalent. Celui du Carlton à Cannes en mesure 80 !

Le ponton au charme sans fin du Samanea

Quelques bonnes nuits ici reposent. Par exemple en étape vers le Vietnam, qui n’est qu’à 30 kilomètres. Vue sur la baie de Kampot et le mont Bokor. Où l’on va excursionner à 1100 mètres, puis déjeuner aux cascades, en contrebas du casino français fantôme, devenu une grande attraction de ce site un peu curieux, flanqué d’un énorme casino de promoteurs chinois.

Samanea : le tamarinier en khmer

Le charme de Kep est limpide dans le jardin bucolique de l’hôtel, manguiers et tamariniers foisonnants, oiseaux omniprésents, quelques pêcheurs de palourde passant pendant la marée basse, qui est à perte de vue. Chaque soir, avant le dîner, on complète sa collection de couchers de soleil.

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Try, le directeur, est un ingénieur convaincu et convaincant en plus d’un botaniste inspiré. Il a foré jusqu’à 55 mètres pour trouver l’eau potable d’une rivière souterraine. Elle roule au robinet des 10 villas.

Une rareté, cette eau potable. Comme la Réception, une maison de briques formant un motif un peu art déco, un peu Légo. Try montre au journaliste deux discrets impacts de balle d’une fusillade dans la pièce du fond de la réception. Celle des anciens propriétaires par les Rouges fous. Ses parents furent aussi fusillés : ils étaient à la fois intellectuels et riches. C’est du passé.

Le cadre est superbe, la cuisine raffinée. Comme la jeune Chef au sourire si khmer. Le restaurant est une élégante colonnade blanche ne s’inspirant ni de l’habitat khmer fluvial sur pilotis ni de Mallet-Stevens, contrairement a mon préjugé d’Occidental exhibant sa culture.

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Les bureaux et coffres années trente des villas ont été chinés, des Belges ont décoré, les briques de pierre bleue sont restées un an au soleil pour un effet de rouille…

une pierre rougeoyante vaguement volcanique, comme le coucher de soleil devant la piscine au circuit de chlore natif doux. Et comme la latérite du bord de la piscine.

La même pierre qu’aux incontournables temples d’Angkor Vat. Où l’on fera le circuit à l’envers pour éviter la foule. Petit gain vaut mieux que rien ! Beau petit hôtel Secret Retreats ou se reposer, avant d’aller faire un tour sur le grand lac Tonlé Sap… Où je suis allé à vélo, une aventurette de 10 bornes sous le cagnard sympa. On a les petits exploits qu’on se donne..

De retour à Phnom Penh. On verra avec plaisir (parmi tant de trésors d’Angkor Vat restitués par les ex-occupants) une quarantaine de dessins de danseuses du Ballet Royal du Cambodge par Auguste Rodin. Et des danseuses en chair et en os : il y a un spectacle quotidien à 18h30.

Le Cambodge, encore un peu vintage, parfois vieillot (le Vietnam est pareil) est truffé de belles îles (comme Koh Rong Saemlen, Koh Kong) et plages (ma préférée est celle d’Otres II, près de Sihanoukville) n’ayant rien à envier à la Thaïlande.

Sans en avoir encore, comment dire, la « coolitude » touristique de masse parfois un peu standardisée. Enfin nettement, même. Mais les Thaïs sont si sympas qu’ils font tout passer… ou presque.

Renseignements

Secret retreats : 70 petits hôtels indépendants, à mille lieux du confort standardisé des chaînes hôtelières. Et voici… Le Samanea

J’oubliais : se souvenir de l’adorable petite mangrove privée du Samanea au coucher du soleil…

8 réflexions sur “Chemins cambodgiens, retraite secrète…

  1. soit la phrase est mal construite soit l’ignorance perce sous le langage relâché (le Vietnam est pareil, non mais). Latérite les temples d’Angkor? Mais ils sont en grès majoritairement gris mais aussi rose pour Bantay Srei, temple cher à Malraux.

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  2. un petit détour par le musée Guimet, certes moins exotique, aurait permis de rectifier bien des approximations de ce dépliant touristique que les lecteurs de ce blog préfèreront oublier.

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  3. ou garder une pensée empathique pour « les jeunes filles si attentionnées » qui perdraient leur place si elles ne l’étaient pas!

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  4. Permettez-moi de corriger une expression qui conduit, en cas de mauvaise interprétation, à une erreur historique; l’occupation (pourquoi un O et non un o) vietnamienne n’est pas postérieure à la chute des Khmers rouges, elle en est la cause….

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  5. « Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les
    vaches
    Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
    Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les
    restes…
    Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
    Alors, becquetons!
    Côte à l’os pour deux personnes, tu connais? »
    Léo ferré

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