Guy Savoy à la Monnaie de Paris

Son restaurant, trois étoiles depuis 2002, s’installa sur les quais de la Monnaie de Paris au printemps 2015.

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Il y joue sa partition culinaire dans un cadre incomparable : En scène ouverte, face à la Seine. En se souvenant des langues de chat de sa mère. Et en oubliant celles de vipère. Qui disent : oh, c’est un peu surfait.

Or, non. Il rend bien sa monnaie à la grande cuisine en la désacralisant. Et il rend sa monnaie au centuple à la beauté du Paris devant lui…

Flashback vers l’enfance

« Cela commence par un regard de gamin, face à ma mère qui allait faire des langues de chat. Je la vois mélanger œufs, farine et beurre. Rien de très excitant au fond. Puis ouvrir le four pour les en sortir. Je sens alors une odeur nouvelle. Puis je touche, enfin je goûte : c’était croustillant. J’ai alors pris conscience que la cuisine était magique. »

Est-ce pour cela qu’il a prêté sa voix bien plus tard à la version française du film Ratatouille, dont il avait inspiré le personnage du Chef ?

Triple étoilé Michelin depuis 2002 (alors dans son restaurant rue Troyon), il s’efforce depuis de gommer les artifices dans sa cuisine, avec sa brigade de 40 personnes et des fournisseurs proches. Le service génère un ballet virevoltant dans les couloirs un peu sombres, signés par le sempiternel décorateur Willmotte, entre les 6 salons intimistes.

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La brigade est aussi bien rodée que cette volaille de Bresse braisée au chou tombant dans mon escarcelle, après la raie tapissée de caviar de Sologne, un sublime Saint-Pierre et son espuma de corail flanquée d’un demi-oursin sourcilleux. Comme un oeil épineux ouvrant sur un Infini orangé velouté, si goûteux qu’on croit plonger en bouche dans un Océan iodé…

Le décor est fantasque dans sa rigueur : c’est celui de la Monnaie de Paris, comme le montre mon article dans Où? Magazine (printemps 2017). En toute simplicité…

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Il s’y est installé au printemps 2015, après quatre ans de travaux dantesques. il joue sa partition culinaire dans un cadre incomparable.  En scène ouverte, face à la Seine.

Passerelle des arts 

Les murs des six salons intimistes du restaurant s’ornent de dessins sur le thème du Vert, par l’artiste Fabrice Hybert (qui avait jadis pris le pseudonyme d’Hybermarché, amusante métaphore en creux du marché de l’art contemporain). On y trouve des pièces de la collection personnelle de Guy Savoy, des prêts de celle de François Pinault, comme ce dessin d’Abdel Abdessemed à l’énergie formidable : un monsieur à lunettes assis, lisant. On pense à tort à Jean-Sol Partre, comme l’avait rebaptisé Boris Vian.

 

Après le café, il faudra traverser le hall pour visiter la prochaine exposition de La Monnaie aux superbes salles. Ce lieu est une Passerelle des arts, celui de l’artisan dans votre palais, ceux des artistes exposés ici leur faisant écho…

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C’est le Palais Conti, construit sous Louis XV, qui abrite le musée de la Monnaie et les expositions de plus en plus extravagantes (pour marquer les esprits) qui s’y déroulent. Immenses salles au décor un peu italien : c’est Venise à Paris. C’était le carnaval du provocateur artiste Maurizio Cattelan, exposé l’automne dernier. Mélange des genres…

La grande transformation

Le long de la Seine, devant l’île du Vert-Galant, des cadenas d’amour ornent encore les barrières du Pont-Neuf. En fin de repas, on reconnaît à Guy Savoy (qui nie farouchement se reposer sur les lauriers de sa réussite) le talent d’avoir déverrouillé certains cadenas de la grande cuisine : il appelle cet instant « le juste moment ».

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Un travail invisible sur les saveurs, pas trop concentrées, des assiettes qui ne sont pas design à l’excès. Ca tombe à pic : J’en ai parfois ma claque, des petits cylindres biseautés  et autres carrés striés de goutte de sauce, des compositions abstraites en assiette entrées dans le dictionnaires des idées reçues de la design food.

Par ailleurs, texture, cuisson à basse température, saveur parfaite de chaque ingrédient. C’est ce que Guy Savoy appella la « grande transformation », une petite magie concrète.

Transformer l’Histoire en joie

Pour lui : « La cuisine est l’art de transformer des produits chargés d’histoire en joie. Histoire de la vie de chaque produit, des années qu’il a fallu pour l’affiner, du lot d’imprévus auxquels il a résisté. ». Ou d’un choc thermique tout à fait prévu : celui du filet de saumon cru jouant le rôle digestif d’un entremet.

Il arrive cru sur lit de glace, puis sur une plaque de sel de l’Himalaya et finit au spa : plongé dans un bouillon de citronnelle par Patrick Devel, l’un des trois seconds. Avec mon péché mignon : de ces exquises perles de citron-caviar au goût éclatant quand on les presse sous la langue: une saveur unique. Et puis la fameuse soupe d’artichaut et pétales de truffe, en l’occurrence du marché de Richerenches.

Après le fromage, la faveur du chef : une belle carotte « pour repartir en appétit », comme il a appris à les préparer un soir pour des amis dans « ma cabane en Suisse, à Villars-sur-Ollon » avec quelques champignons des environs.

Le dessert est servi par Lucas, sortant de l’école hôtelière de Lausanne, qui convient qu’il a ici « un bel outil de travail ».  De la mangue au miel de Paris des ruches du toit (il y en a aussi sur celui de l’Opéra-Garnier et d’autres belles tables).

On en avait déjà tâté un rayon sur les fromages de chèvre et, outrage amusant, sur un Epoisses de Bourgogne. Le chef vient lui aussi de Bourgogne : sa mère y tînt un restaurant à Bourgoin-Jallieu pendant 30 ans.

Meilleur restaurant du monde 2016

En décembre 2016, le classement « La Liste » du Quai d’Orsay (un algorithme agrégateur des scores de guides, notes de chroniqueurs et surtout avis de consommateurs) a désigné sa Table comme le meilleur restaurant du monde. L’année d’avant, c’était celui de l’infortuné Violier à Crissier, en Suisse.

Souvenirs et moulures animent les murs . Et un lustre Stillnovo cinquante en Atomium, découvert chez un antiquaire new-yorkais par le décorateur Jean-Michel Wilmotte, qui a habillé les plafonds de miroirs reflétant la lumière naturelle pour faire entrer « l’extérieur dans l’intérieur ».  

Le plafond d’un des salons est aussi revêtu d’une  toile de Fabrice Hyber pleine de bulles qui s’appelle « Effervescence ».  Notre Chef poussait-il le bouchon de ses effervescences culinaires un peu loin le jour où il affirma que « le restaurant est le dernier lieu civilisé de la planète » ?

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C’est énorme. Pourtant on le lui accorde volontiers… Car il la lui rend bien, sa monnaie, à la beauté du Paris devant lui…

Christophe Riedel

Renseignements

www.guysavoy.com

Crédits : © Guy Savoy, C. Riedel

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