Entretien avec Marie-Madeleine Peyronnet, la Secrétaire d’Alexandra David Néel, dite ADN

« Mes parents m’ont donné la vie, Alexandra tout le reste. En un mot, elle était l’exigence. Pour elle-même, pour les autres, pour la politique. Une honnêteté intellectuelle extraordinaire. Elle n’a pas déviée, est d’ailleurs restée libertaire jusqu’a la fin. »

Dans le documentaire projeté en sa Maison-musée à Digne-Les-Bains (surprenante enclave tibétaine dans les Alpes de Haute-Provence) vous dites en préambule :

« Je pensais rester une demi-heure, je suis restée dix ans. »

Comment cela s’est-il passé ?

Marie-Madeleine Peyronnet :  » Comment vous dire ? Je suis Pied-Noir, d’Algérie. C’était la guerre d’Algérie. Je ne connaissais pas la France. Je me suis dit, ma foi, pourquoi ne pas rester quelque temps à côté de cette femme, connaître la région, aider mes parents âgés… Ils ont acheté un appartement à Digne-les-Bains, c’était le désert, la campagne, mais près de la maison tibétaine d’Alexandra ! Je l’ai donc connue à cause de la guerre, sinon je n’aurais jamais été là. Je n’ai plus jamais quittée Alexandra David Néel. Il y a 43 ans qu’elle est morte. Et je suis toujours là, dans sa maison.

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Qu’est ce qui vous a fait rester, qu’avez vous tant aimé ?

 » J’étais une amoureuse de l’intelligence. J’avais voulu partir avec Albert Schweitzer. Ou comme brancardier en Indochine. Mon père était un héros de guerre de la bataille de Verdun, rescapé de la Côte 304. Il m’a dit, il y a eu suffisamment de héros, pas besoin d’en faire un de plus, assez de petits soldats. Par contre, il voulait me garder à la maison, puis que je me marie, tout ça, comme tout le monde.

Moi, je ne voulais pas. Je lui ai dit, laisse-moi partir : je voulais rencontrer, aider quelqu’un d’intelligent. Quand on était devant Alexandra David Néel… Elle avait un regard qui tirait des traits. On avait l’impression qu’on allait attraper son regard, son esprit. On la voit avant tout comme une Tibetologue, mais elle connaissait quantité d’autres choses !

« C’était passionnant. Mes parents m’ont donné la vie, Alexandra tout le reste. En un mot, elle était l’exigence. Pour elle-même, pour les autres, pour la politique. Une honnêteté intellectuelle extraordinaire. Elle n’a pas déviée. elle est d’ailleurs restée libertaire jusqu’a la fin. » »

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Quels sont les projets de l’Association David-Néel, de sa Maison ?

« Nous sommes un hybride entre Fondation et association, puisqu’Alexandra n’a pas crée de Fondation de son vivant, comme il se doit, ce qu’elle ne fit pas. Mais nous fonctionnons comme une Fondation, nous nous débrouillons, sans subventions, avec les droits d’auteur. Sont-ils élevés ? Elle se vend encore pas mal, plus à l’étranger qu’en France. Et ce, malgré la quantité d’ouvrages paraissant sur le Tibet… »

La maison-parcours est superbe, avec de nouveaux aménagements, on dirait un mini-musée, une mise en abyme du Musée Guimet. Il y a de récentes salles superbes, à qui les doit-on ?

« C’est Franck, de l’Association (un monsieur barbu, l’autre âme du lieu, le co-porteur de projet, que nous vîmes avant la visite, avec des Tibétains de passage). Il a tout fait, les plafonds, tout peint de cette laque rouge, depuis quelques années. C’est son travail. »

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J’aime bien comment vous avez dit en sortant des salles que nous avons vues ensemble: « je ne suis pas une mystique, mais quand même, quand je rentre la-dedans, cela me fait quelque chose. »

« Oui. Parfois on dit un mot de trop. Car on en dit ou trop ou pas assez. En fait, j’étais une petite file très mystique, catholique, avec beaucoup de sérieux, de sincérité. Puis en grandissant, en étudiant les religions, les philosophies, on se dit : Pourquoi ma religion serait-elle mieux que celle de l’autre ? Elles ont toutes été créées pour aider l’homme à supporter cette chiennerie d’existence ! Alors, je me suis retirée de toutes les religions, que je respecte… »

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« Mais je sais que le Bouddhisme, en dehors des Dong Dong, des Ding Ding et de tous ces machins, je dis bien de la façon dont Alexandra (qui était une vraie bouddhiste) l’expliquait, la vraie philosophie, cela m’a beaucoup aidé.

Car vous savez très bien qu’on peut être mystique sans être religieux et religieux sans être mystique. J’ai quand même un côté mystique : quand vous voyez ces salles, vous n’avez pas envie de rigoler… »

CR : Oui, je perçois cela comme un humanisme. Pour ma part, ma seule idée de divin est qu’il y a peut-être une idée de dieu dans chaque détail et beauté de la nature, de l’animal, du reste. C’est ma forme de… micro-religion portative.

« Vous êtes panthéiste, voila. Pourquoi pas. Quand on voit tout ce qu’il y a sur les autres planètes, tout ce qui existe… Dieu qui aurait pris un peu de terre, tout ça… Il l’aurait prise où ? On nous raconte beaucoup de contes de nourrice ! Chez les Bouddhistes aussi !

CR Je suis d’un panthéisme interplanétaire, madame. Vous aussi, je suppose ?

« Moi monsieur, quand j’avais 20 ans, je voulais qu’on fasse tous le tour du monde en se donnant la main. J’étais tellement bête… Et, vous savez, Après-Guerre, vers quinze-seize ans, quand on a commencé à parler des voyages sur la Lune, j’étais vraiment très heureuse de cette conquête de l’espace.

« Je me suis dit, quand ils sortiront de leur capsule lunaire et qu’ils verront la Terre, une si petite boule, ça les ramenera à plus de fraternité , plus de raison et de compréhension ! »

CR : Quel vaste espoir et programme !

« Eh, que j’étais bête ! »

CR : Non, pas bête du tout, d’une grande candeur. Comme je l’étais aussi, d’ailleurs. Et le demeure…

Propos recueillis par Christophe Riedel,
en août 2015, Alpes de Haute-Provence,
dans la Maison musée D’Alexandra David Néel, à Dignes-Les-Bains.

Sur le site des Alpes de Haute-Provence (dpt 04)

Petite bio « bio » :

Une exploratrice française à Lhassa

Alexandra David-Néel fut la première femme européenne à pénétrer dans la cité interdite de Lhassa, au Tibet, en 1924. Née à Paris en 1868, cette Dignoise d’adoption est une des rares femmes du siècle dernier à s’être fait connaître et surtout reconnaître dans le monde très viril de l’aventure et de l’exploration.

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En 25 années de pérégrinations très aventureuses, Alexandra David-Néel a su traduire sa connaissance de l’Asie au travers d’une œuvre littéraire abondante, reconnue dans le monde entier. A 101 ans, elle voulut faire renouveler son passeport !

Forteresse de la méditation Après ces 25 ans d’aventure, Alexandra David-Néel a trouvé à Digne la sérénité qu’elle recherchait pour écrire et un paysage qui lui rappelait le Tibet : elle qualifiait les Pré-Alpes de Digne d’

« Himalaya pour lilliputiens »

Elle s’est installée à Digne en 1928. L’exploratrice avait baptisée sa maison « Samten Dzong » (« Forteresse de la méditation »). A 100 ans, elle voulut faire renouveler son passeport ! Elle s’est éteint en 1969, à l’âge de 100 ans, léguant sa demeure à la ville.

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La Maison Alexandra David-Néel propose aujourd’hui diverses activités montrant des aspects de la culture himalayenne. Elle abrite aussi une boutique d’artisanat tibétain et vient en aide, par le biais de parrainage, aux enfants vivant en exil en Inde. Il y a par exemple un Festival tibétain en septembre…

Distinctions

La Maison Alexandra David-Néel est inscrite à L’inventaire du Patrimoine historique depuis 1996. Elle a également reçu le label du Patrimoine du XXème Siècle en 2008 du Ministère de la culture et de la communication. C’est aussi l’une des 110 « Maisons illustres françaises » depuis 2011, prix valorisant les demeures de personnalités s’étant distinguées dans l’histoire politique, sociale et culturelle.

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Samten Dzong fait partie de la Fédération des Maisons d’Ecrivain et des Patrimoines Littéraires depuis 2007.

Voici une biographie passionnante d’ADN, un peu off, double dose de bonheur ! 🙂

It’s the birthday of writer and explorer Alexandra David-Néel, born in Saint-Mandé, France, in 1868. She had an unhappy childhood, the only child of bitter parents who fought all the time. She tried running away over and over, starting when she was two years old. As a teenager, she traveled by herself through European countries, including a bike trip across Spain.

When she was 21, she inherited money from her parents, and she used it all to go to Sri Lanka. She worked as an opera singer for a while to finance her travels. She was especially interested in Buddhism.

She disguised herself as a Tibetan woman and managed to get into the city of Lhasa, which at that time was off-limits to foreigners. She became fluent in Tibetan, met the Dalai Lama, practiced meditation and yoga, and trekked through the Himalayas, where she survived by eating the leather off her boots and once saved herself in a snowstorm with a meditation that increases body temperature.

The locals thought she might be the incarnation of Thunderbolt Sow, a female Buddhist deity. She became a Tantrika in Tibet when she was 52 years old.

And she wrote about it all.

Her most famous book is Magic and Mystery in Tibet (1929), in which she wrote:

“Then it was springtime in the cloudy Himalayas. Nine hundred feet below my cave rhododendrons blossomed. I climbed barren mountain-tops. Long tramps led me to desolate valleys studded with translucent lakes … Solitude, solitude! …

Mind and senses develop their sensibility in this contemplative life made up of continual observations and reflections. Does one become a visionary or, rather, is it not that one has been blind until then?”

She died in 1969, at the age of 101, a few months after renewing her passport. She was a big influence on the Beat writers, especially Allen Ginsberg, who converted to Buddhism after reading some of her teachings.

~ The Writer’s Almanac

7 réflexions sur “Entretien avec Marie-Madeleine Peyronnet, la Secrétaire d’Alexandra David Néel, dite ADN

  1. A vous lire, on a envie d’être, l’espace d’une visite, un tibétain de passage! A lire les réflexions de la secrétaire et quelle secrétaire, je dirais la receveuse des pensées et de l’esprit d’Alexandra David Néel.

    Aimé par 1 personne

  2. Très bel article, parfait pour commencer (la journée notamment), recommencer, imaginer, se re-souvenir de la beauté et du sens de la vie peut-être…………..Mille mercis………………..

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