« De ce côté du bar, on ne refait pas le monde, on le mélange » Et une brève de comptoir en papillote façon Ribes, une ! Barman devenu styliste alimentaire en boissons, ce stéphanois adorant décloisonner les secteurs a fait de la décoration de cocktails son dada : « De mon petit bar, où je faisais mes cocktails pour 4 ou 5 personnes, je suis allé vers l’industrie agro-alimentaire de pointe, dans l’excellence, sans quitter Saint-Etienne en plus !
Mais c’est toujours le même métier, que j’ai simplement fait évoluer : comme quoi le bar mène à tout ! Dans les années 90, j’ai commencé à être connu, des télés avec Christophe Dechavanne, des livres écrits… On est venu me chercher sans que j’ai à suralimenter internet…
Portrait d’un « agité » réfléchi
J’ai crée mon agence, AJT Cocktails, en 2004, sans internet : je trouve que c’est une pollution visuelle. J’en ai bavé, j’ai tenu bon. Vous avez dit agroalimentaire ? Le terme inquiète toujours : je tiens à dire que je choisis mes clients en fonction de mes critères de qualité. Je travaille avec la maison Routin, autour de projets de sirop… secrets. Daregal, une autre maison de qualité, spécialiste européen des herbes aromatiques surgelées, chez Picard, fait appel à moi pour des boissons, à base d’herbes bien sûr. J’aime travailler leur panel.
Et puis Naturex, une grosse société avignonnaise de poudres de fruits, légumes et arômes naturels. Très technique. Pour eux, je suis à 60 % Food & beverage et 40 % en cosmétologie. Et puis j’adore travailler la glace, avec un fabricant artisanal stéphanois, Franck Deville Macarons : il fait 17 tonnes par mois, quand même : je lui fais des macarons cocktails sans alcool, en mélanges clés en main.
Après un CAP, j’ai travaillé depuis 1974 à Saint-Etienne dans divers bars. Longtemps au Meyrieux, où j’ai connu Laurent Greco à la fin des années 80 : il était stagiaire en mention complémentaire et en contact avec le fils du propriétaire, Laurent Mazouzi, excellent barman aussi, que j’ai formé, et qui l’a formé. On s’est influencé tous les 3.
J’aime assez les passerelles entre professions : chocolatiers, et barmen, par exemple; avec Valrhona, autour du fruit et du chocolat, pour un salon à Lyon. En tout, j’ai crée 53 produits (2 à 3 par an), le premier en 1989 pour les purées de fruit Ravifruit, le Pabana (pomme, banane, passion, citron). C’est leur sixième meilleure vente. Il a été copié ! Mon activité se répartit à 80 % de créations de boissons pour le secteur agro-alimentaire et 20 % de stylisme alimentaire.
Gréco & Co Parfois, je croise mon ami Laurent Gréco à Singapour où je ne sais où. Lui, comme ambassadeur Perrier, moi en démo pour découper des fruits devant des barmen. Dernièrement, j’ai crée 3 sodas à base de houblon, avec de belles macérations, de manière naturelle, pour la microbrasserie lyonnaise Ninkazi, qui a une belle philosophie, comme moi..
Depuis peu je travaille pour PCB Création, entreprise proche de Strasbourg, active dans les décors de pâtisserie. C’est un peu le Christian Dior de la pâtisserie dans le monde, 2 catalogues par an, vraiment de la haute couture. Le chef pâtissier du Crillon, Christophe Michalak, en crée pour eux, comme tous les plus grands noms du secteur. Pour eux, je mets en place des décors pour le cocktail et la boisson, qui sortiront en 2015. Pour moi, c’est fabuleux : je cherchais une société qui me permettrait de créer des formes avec de la guimauve, du chocolat, du sucre, matières que le barman ne travaille pas. J’en rêvais, ils me l’ont proposé, je suis ravi.
Son projet le plus ébouriffé ? Le cocktail habillé ! Comme je suis allé aussi loin, en technique, en découpe, dans ma passion de stylisme alimentaire que les créateurs de mode, j’ai envie de faire lien avec ce secteur : Je prépare un défilé de mode : j’habille réellement mes verres comme un styliste ses mannequins : avec fantaisie, strass, tissus… J’estime que le cocktail et la mode sont deux produits imbriqués l’un dans l’autre. Je fais des clins d’œil à la mode 60’ joyeuse, la robe en métal de Paco Rabanne, Kenzo, Courrèges, Chantal Thomass, Jean-Paul Gauthier :
En 2013, j’ai crée pour « Les cocktails à la mode », ma double page déco dans Shaker magazine, une marinière, clin d’œil à son style. Il vient d’annoncer qu’il quittait la couture lors de la Fashion week en septembre 2014, d’ailleurs. J’aime aussi la mode extravagante, cuir clous ! Mes essais sont extraordinaires: j’aboutirai bien à l’occasion d’un lancement. Car ce projet de cocktail habillé est viable et beau, c’est mon dada, parmi d’autres. Je trouve cela sensuel, érotique, et je le ferai.
Mais sans que mes cocktails aient l’air déguisés pour autant, on est sur le fil du rasoir. J’ai plein de dessins dans mes cartons. Je travaille pour cela avec de petits mains d’or, deux jeunes femmes qui les réaliseront.
L’idée de tout cela ? J’ai diversifié mon petit travail de bar pour l’attirer vers des secteurs différents. Laurent Greco est celui qui a le mieux compris mon travail. Je voudrais lui dire avec un peu d’émotion que j’ai redécouvert ses qualités ! Si nous fûmes en froid parfois pour… de bêtes raisons d’ego, on s’appelle régulièrement !
Le mot de la fin ? C’est ma maxime : « De ce côté du bar, on ne refait pas le monde, on le mélange ». Cela veut dire que de l’autre côté, les êtres discutent, critiquent, comme au café du Commerce. Nous, non. On mélange le monde de nos bouteilles cosmopolites sans bouger du bar. « L’opposition entre un rêve au comptoir et les brèves de comptoir, en somme ?
Et voici l’article paru dans Cocktail Zone (premier trimestre 2015, photo : Loran Dhérines).
NDJ : Il n’est pas aussi grave que ce beau portrait noir et blanc pourrait le laisser supposer ; Très enjoué, au contraire. Encore un qui n’aime pas poser ni sourire facile…
Son dernier livre ? Les Cocktails Inratables, février 2013, éditions Leduc.
Propos recueillis par Christophe Riedel