Les liqueurs : un Nirvana sucré…
Senteurs étonnantes, persistance aromatique, variétés des arômes dus à l’incroyable mosaïque des ingrédients composent le bouquet des liqueurs. Elles sont singulières, uniques, multiples. « Tendances » ou disgraciées selon les périodes : après avoir souffert d’une image vieillotte, leur côté vintage plaît à nouveau sur un marché tiré par la mode des cocktails venue des États-Unis, par une diversification des modes de consommation. Si les liqueurs sont très fortement taxées en France, ce n’est pas toujours le cas à l’étranger. Les producteurs français se sontdonc tournés vers l’export. Les États-Unis sont désormais en tête, suivis par les pays asiatiques.
Soyons himalayens dans le ressenti :
Avec les édulcorants (sirop ou liqueur)
on macère comme on naît,
en pleine dimension amniotique liquoreuse,
dans un placenta à l’alambic ombilical.
Chaleur symbolique renforcée par
l’imagerie à résonance magnétique
et patrimoniale d’Epinal
des étiquettes de crèmes et liqueurs.
Elles sont aussi proustiennes que de liquides madeleines…
Cinquième commandement biblique du barman à l’appui : Le spectre de l’écœurement sucré, en embuscade dans le maquis des cocktails trop aguicheurs ou girly, toujours tu éviteras. Grâce au Graal : les vertus du Sour…
Let’s liquor higher !
L’Eden du sucre maternel, le goût de bonbon originel de la petite enfance mémorielle sirupeuse s’est teinté à l’âge adulte de découvertes liquoreuses. Qui permettront, entre autres, de composer avec l’amertume du monde ? Pour mieux l’intégrer ? Olivier Monin, par exemple, confesse être très sucre dans ses cocktails de prédilections, Mojito first. Selon la définition du syndicat, les liqueurs sont des spiritueux composés à degré alcoométrique de 15 à 55°. Leur goût provient de l’aromatisation d’un alcool ou d’un distillat d’origine agricole : anisés, gentianes… et tant d’autres. Différents procédés sont utilisés : macération, infusion de fruits ou de plantes ajoutés à de l’eau de vie, blanche ou non.
L’histoire avec une grande Hache
Les premières liqueurs datent au Moyen Âge, comme l’Amaretto Disaronno d’amande amère (parfois utilisé pour le Tiramisu à la place du Kahlua) qui appose fièrement 1515 sur son étiquette et titre 28 °. Arnaud de Villeneuve, recteur de la pionnière Faculté de Médecine de Montpellier, concocta moult vins herbés et médicinaux : vin cordial, à base de bourrache, mélisse et épices, vin aux coings, romariné, dont « les propriétés sont admirables », vin sauvage, à base de chou rouge et d’ortie pour soigner les plaies, vin d’extinction d’or dans lequel une feuille d’or est plongée quarante fois, vin râpeux, dans le moût duquel a été plongé du raifort, en apéritif, vin d’euphraise pour les yeux, de campanule, sauge, de fenouil, vin anisé, au chiendent, de chardon, de girofle. Il popularisa aussi la distillation de l’alcool grâce à l’alambic, ce qui permit l’élaboration des liqueurs actuelles, nées conjointement en France en monastère, et chez les jésuites de Vérone, dont la liqueur fut importée par Catherine de Médicis. Ces liqueurs étaient obtenues par macération dans l’eau-de-vie et de l’eau de camomille sucrée, de plantes et d’épices dont on voulait extraire les principes essentiels comme l’anis, le fenouil, l’aneth, la coriandre…
Lointain boum des liqueurs monastiques
L’année 1775 marque un tournant dans leur élaboration. Leur nombre devient tel que leur fabrication est codifiée. Elles revendiquent l’origine monastique, comme :
La Chartreuse vert chlorophylle (130 plantes, 55 °) et la jaune safran, plus moelleuse (40°). Leur ancêtre est née en 1605, quand les moines de la chartreuse de Vauvert à Paris (actuel jardin du Luxembourg) reçurent du duc d’Estrées un mystérieux manuscrit avec la formule d’un Élixir de Longue Vie. Bon, ça ne rendait pas immortel, hélas, sinon on voterait tous pour un improbable super héros heureux : Matrix Chartreux !
La Bénédictine, sa consœur, est composée à partir de 27 épices orientales et plantes locales). Toutes deux jouissent ces temps-ci d’un relatif retour en grâce via la mode du vintage. Viennent ensuite les plus confidentielles : l’Eau de mélisse des Carmes (relancée récemment), la Trappistine, la Vieille Cure. Qui se souvient de la Sénancole, élaborée par les cisterciens de l’abbaye de Sénanque ? Ces liqueurs, de potions cordiales pour le cœur, deviennent des alcools de châteaux.
Des Routes des Indes arrivent ensuite les fruits exotiques des nouvelles saveurs. Comme dans la compostion des bières de la Brasserie Goutte d’Or (voir Bierology), vive le métissage ! Il existe aujourd’hui tant de liqueurs aux multiples combinaisons gagnantes, d’autres perdantes. A base de plantes (verveine, tilleul, menthe, violette, jasmin, rose); à base de fruits, de baies et de noyaux (orange, cerise, banane, fraise, abricot, groseille, cassis, genièvre, airelle); à base de graines (café, cumin, anis, girofle, coriandre), à base d’écorces et racines (orange, citron, mandarine, gentiane), sans oublier le chewing gum ou la tagada, qu’on retrouve un peu à toutes les sauces.
Par quelle liqueur commencer ?
Allez, l’image d’Epinal de chez Combier ! On y navigue dans le temps en ascenseur Roux-Combaluzier. « Dans son arrière-boutique, d’abord une fabrique de bonbons et de confitures en 1834. Jean-Baptiste créa ses premières liqueurs parmi lesquelles une très fameuse liqueur d’orange amère d’Haïti : le triple sec (aujourd’hui l’Original). Mais c’est l’Elixir et sa célèbre « réclame » – Liqueur hygiénique de dessert – qui fit la renommée de la Maison au milieu du XIXe siècle. C’est aussi le Royal Combier et maintenant l’Elixir, trois recettes ancestrales. » L’élixir ? Mélange exotique d’herbes et de plantes aromatiques made in Vallée de la Loire, Afrique, Inde et d’Asie. Autrefois qualifiée de « liqueur médicinale », elle ne remplit évidemment plus ce rôle mais s’adresse aux amateurs de produits anciens qui vont retrouver dans celui-ci le charme, la densité et l’incroyable complexité d’une recette vieille de presque 180 ans… il y a aussi la liqueur de chocolat blanc… un peu capiteux, non ? Durable ? On ne sait jamais trop… impossible aussi de ne pas citer de belles maison come Giffard, Eyguebelle ou Merlet, sur laquelle on revient plus loin.
Voici le dossier complet paru dans le magazine « from bartenders to bartenders » CocktailZone N° 41 (Décembre 14-février 2015) :
Sirops, liqueurs & crèmes
Un empire cordial
Surfons d’abord sur une mer de sirops, on glissera ensuite sur les grandes sœurs liqueurs. Les fabricants français, une douzaine, regroupés en Syndicat depuis 1963 (dont Monin, Teisseire, Routin, Marie Dollin, Moulin de Valdonne, Meneau, Vedrenne) font sans cesse preuve d’innovation et d’originalité dans la composition de leurs produits. Car sur un marché relativement calme, trop saisonnier et soumis à la forte concurrence des MDD, le seul levier reste l’innovation. Que ce soit par la qualité fruitée, comme Monin, le positionnement bio, la communication sur la réduction du taux de sucre ajouté… sans oublier leur caractère plus sain – et plus économique – que les « boissons rafraîchissantes » fédérant les sodas. Les parents (50 litres par foyer ont été consommés en 2010) le considèrent comme une alternative aux sodas à l’heure du goûter ou de l’apéritif. Enfantin. Et le consomment eux-mêmes pour aromatiser leur café ou pour créer des cocktails sans alcool, tendance sur laquelle surfent les variations des fabricants.
1001 combinaisons cordiales
Finis, les classiques menthe, fraise ou grenadine ? Non, toujours leaders en France, et de loin : La grenadine arrive en tête avec 27 % de parts de marché, la menthe en seconde position avec 16 %, puis le citron avec 12 %, la fraise avec 10 % et enfin la pêche avec 4 %. Heureusement, tous les bons goûts naturels étant dans la nature : presque tous ont pris forme dans le jardin d’Eden de l’offre. Ca va de banane verte à verveine-citron, barbe à papa, cannelle, cardamone ou châtaigne, chocolat blanc ou menthe, concombre, très exploité ces temps ci en cocktail avec ou sans alcool, figue, gingembre, jasmin, melon, miel, noisette grillée, tarte au citron, thé mangue, tiramisu, cola/cerise, kiwi/banane, génépi… pour n’en citer que quelques uns ! Et un écrit du XVIIIème siècle, disait déjà que « les sirops de plantes préparés pendant l’été et l’automne, de sureau, de camomille, de pâquerettes, de violettes, de pensées et de roses servaient à la cuisine, à l’office, sur la table des maîtres, mais aussi dans la pharmacie du château ». Braves gens et merveilleuse profusion définissant la Tentation de Saint Sirop Modernisé…