140 variétés, 145 pays… Avec ses étiquettes dignes d’une image Epinal au doux goût de passé, la puissance de feu de ses 20 Beverage Innovation Directors, de sa R&D, Monin est un orgue à gout parti à l’assaut du monde sans y perdre son âme. Et le goût fit sa (grande) roue ! Retour sur saga patrimoniale d’un succès de qualité avec Olivier Monin, PDG.
CKZ : Vous avez repris l’entreprise familiale en quelle année ?
Olivier Monin : je suis entré en 1987 à 27 ans, l’entreprise n’était pas en très bonne santé. Les deux premières années ont été principalement consacrées à la remettre sur pied et à retrouver du volume sur des marques de distributeurs pour absorber les frais fixes.
CKZ : Quels ont été les temps forts de votre action depuis ?
OM : ils sont partis d’un constat. A l’époque, nous produisions à peu près la moitié du volume avec alcool, l’autre sans. Je me suis vite aperçu que le marché mondial des alcooliers était fait de milliers de marque, la compétition allait donc être rude. Alors qu’il n’y avait pas de sirops, donc pas de concurrents à l’export, en dehors du marché français. J’ai fait le pari d’en vendre à l’export. Je me suis basé, appuyé plutôt, sur l’expertise de distribution de l’Association internationale des barmen (IBA) qui a une antenne dans chaque pays. J’ai commencé par la Scandinavie, en comprenant le besoin du barman professionnel, ensuite un pays après l’autre. Nous y rencontrions des demandes spécifiques qui nous amenaient à développer de nouveaux parfums. Nous sommes ainsi passé d’une petite vingtaine en 1987 à 140 aujourd’hui. D’une manière très pragmatique, en grandissant, nous disions que nous vendions des sirops sans alcool. Puisqu’en fait, on concurrençait les liqueurs, par exemple le Curaçao bleu, en lançant le notre, plus concentré, mais sans alcool. Au début des années 90, il y avait cette gamme sans alcool : C’était la mode.
CKZ : Et quelques années plus tard, quel fut l’autre temps fort ?
En 1993, j’ai décidé de s’implanter aux USA, d’avoir une filiale en Floride. Compte tenu du potentiel de ce marché, très vite après, en 1995, on s’est dit, si on veut y réussir, il faut devenir américain, donc produire sur place. La première bouteille est sortie de l’usine floridienne le 1er janvier 1996. Ce temps fort fut la grosse étape qui nous a permis au fil des années de devenir Numéro 1 aux Etats-Unis. Et de prendre une nouvelle dimension. De même en Asie, au début des années 2000, avec la création d’un bureau de 8 personnes en 2008, puis d’une usine continentale à Kuala Lumpur démarrant en janvier 2009.
CKZ : Pourquoi en Malaisie ?
Parce que par rapport à six pays limitrophes, c’était le pays le plus stable, les gens les plus éduquées, plus anglophones que les Thaïs. Et c’était nettement moins cher que Singapour pour s’installer, évidemment. Cela s’est révélé un bon choix pour répondre plus rapidement aux demandes des différents clients, en allégeant beaucoup les taxes d’importations venues d’Europe. En 2014, nous sommes passés de 24 à 34 pays (moyen et extrême-orientaux) en un an. C’est pareil, meilleure compréhension des besoins et parfums spécifiques, délais d’approvisionnement passés de 2 mois à 14 à 21 jours. Quand on devient régional, on comprend mieux en échangeant avec les équipes locales. Toute la chaine d’efficacité s’en trouve améliorée.
CKZ : Maintenant, un petit tour d’horizon affectivement gustatif. Quels sont les pêchés mignons de chaque marché ?
En gros, 100 des 140 parfums sont communs. Certains des 40 autres sont spécifiques, comme la fleur de cerisier pour le Japon, la caïpirinha au Brésil, vendue elle ensuite un peu partout. Aux Etats-Unis, depuis un an il y a une mode sur les parfums très forts au goût de fumé. On y a lancé le Liquory smoke, du cuir fumé pour les cocktails. Cela ne prend pas du tout ailleurs ! Et puis pour Halloween, il y a toujours le Pie, avec la citrouille. Et au Québec, ils aiment bien la noisette grillée pour les cafés aromatisés.
En Asie, nous venons de lancer la citronnelle, généralisée en septembre car les barmen adorent le lemongrass. En 2013, on a lancé un sirop de réglisse salée pour la Scandinavie. Et au bout d’un an, les Russes en sont devenus demandeurs. Pour eux, nous avons aussi développé une plante, l’estragon, qu’ils adoraient en liqueur. Et depuis un an, c’et pareil : la demande est en train de s’étendre à la Scandinavie, etc. C’est ce délai qui permet de découvrir qu’une tendance se confirme.
CKZ : Et en Europe, quelles sont les notes de têtes, comme disent les parfumeurs, enfin les parfums préférés ?
OM : L’Allemagne est maintenant très coco, pendant 3 ans il y a eu une mode fleur de sureau qui retombe un peu, tout comme celle du caramel salé en Europe arrivant en Asie et aux Usa, où il y a même des shampoings à ce parfum. Enfin, j’exagère. Oui, nous sommes des tendanceurs, précurseurs en amont. Du fait d’être présents sur 140 pays, 145 maintenant je crois…
CKZ : Et quelques flops ?
OM : Il n’y en a pas énormément. Par exemple, le sirop de crème brûlée, qui a marché un an, est en train de retomber. La lavande a bien marché en France mais pas tellement à l’export, un peu trop fort peut-être (NDJ : la cannelle a disparu aussi, hélas, car j’adorai.). C’est à nous en fait de trouver l’application qui va faire vendre le produit, le cocktail fun qui va attirer du monde, la manière de le présenter au delà du parfum. C’est la force de Monin. En interne, on arrive à 20 professionnels, les Beverage Innovation Directors, des Baristas et des barmen proposant des solutions à nos clients, en plus des relais dans chaque pays.
CKZ : En France, quelles seront vos prochaines actions ?
OM : En gros on lance 5 à 10 parfums par an, dont ceux marchant le plus sur le marché des cafés aromatisés, comme le caramel salé l’année dernière. Là, ca va être le Browny en septembre et la citronnelle sur le marché des cocktails. Au printemps, la cerise griotte et quatre sirops 100 % naturels de thé. Les classiques : citron framboise et pêche et le sirop de thé chai à base d’épices, très clou de girofle, qui marche bien à l’Ouest des Etats-Unis. La mangue par contre a été retirée, elle ne marchait qu’en Europe. Il y a aussi le concours de barmen Monin, auquel on pouvait s’inscrire jusqu’au 18 septembre.
CKZ : Vous avez lancé une application sur mobile aussi, comment marche t’elle ?
Elle marche tout à fait bien, on en est à la troisième version. De mémoire, on est autour de 20 000 téléchargements. Ce qui correspond bien à notre marque de professionnels B to B. Même si on essaie de faire un peu de B to C pour des cocktails faisables à la maison par le consommateur final. Sur l’ensemble du volume mondial, la partie retail pèse moins de 10 %. Elle atteint 50 % en France, qui est vraiment le seul marché de sirops. Il y a un peu plus de 100 millions de bouteilles de sirop vendues en retail en France, contre 5 millions aux Etats-Unis (tous acteurs confondus)…
CKZ : Quelle est votre part de marché en France ?
En gros, la répartition est l a suivante : sur les 100 millions, 10 se trouvent en bars (dont 50 % pour Monin) et 90 % en grandes surfaces (dont 5 % Monin, le leader étant Teisseire, produit grand public).
CKZ : A propos, quel sot vos ingrédients ? Et avez-vous transigé sur la qualité ?
Non, jamais. En sirop, il n’y a pas de haute technologie. La qualité vient de nos jus au prix d’achat élevé. Notre succès vient de leur qualité : je dis toujours qu’un bon jus de fraises coûte 2 à 3 fois plus qu’un mauvais. Mieux vaut mettre 20 % d’un bon que 50 d’un mauvais. Grâce à notre marge, due à un prix de vente supérieur, nous pouvons acheter de bonnes matières premières. Du pur sucre saccharose de betterave ou de canne, c’est la même molécule, qui représente un tiers du coût de revient des achats. Beaucoup de concurrents le mélangent à du sirop de glucose fructose, moins cher. Le second tiers vient des jus concentrés ou extraits de plantes donnant les arômes naturels et le troisième de l’emballage et étiquetage. Même quand les cours de la vanille ont été multipliés par cinq, comme il y a 3 ou 4 ans. Tous les gros utilisateurs sont alors passés à la vanille de synthèse, dont le prix par rapport à la vanille bourbon de Madagascar va de un à cent. On a perdu de l’argent, mais on a jamais changé, nous !
CKZ : Vous êtes le Citizen Kane du sirop haut de gamme. Quels sont vos projet, vos envies de visionnaire ? Et comment voyez-vous l’entreprise en 2112, au moment de son bicentenaire ?
Pour moi, il s’agit de créer une marque mondiale, pour l’instant B to B. Nous sommes en train de le faire. Au fur et à mesure de notre développement et de celui des marchés, il s’agira de devenir aussi B to C. Ce qui ne sera pas avant un demi-siècle. Par exemple, ca ne sert à rien d’attaquer le marché américain avec des fortunes car il n’y a pas de volumes intéressants à la clé. Le consommateur n’a pas encore compris comment utiliser les sirops, cela prendra des décennies, avec bien sûr des différences d’une zone à l’autre. Avant, nous avons un travail de fond, beaucoup plus intéressant selon moi, pour devenir vraiment la référence, d’abord du sirop, ensuite peut-être pour d’autres produits en boissons, voire en plats pour entrer dans le culinaire. Voila les grandes tendances. Je ne cherche pas à faire du volume, mais à préserver une marque haut de gamme que les gens adorent. Je préfère avoir 100 000 fans que des millions de consommateurs : c’est plus sympa. Il s’agit de grandir d’une manière noble, pas de faire du chiffre.
CKZ : Pourriez-vous envisager de vendre Monin ?
Non, non, non ! On a plusieurs offres par an, mais je n’y vois aucun intérêt, je ne saurai pas quoi faire d’autre ! Et encore une fois, ce qui motive tous les salariés, c’est une construction de marque sur le plan mondial. On est un peu pionnier dans cette niche que l’on a créée. Notre modèle devrait marcher plusieurs décennies, notre challenge aujourd’hui est de rester en haut de la vague. Nous n’en sommes qu’au début…
L’entretien complet dans CocktailZone 41 est ici :
Le site Monin ici
PS du journaliste : Mes filles sont très Fruit de la passion. Par contre, thé citron ou kiwi, il n’y a rien eu à faire, et la vanille du bout des lèvres, tout en admettant qu’elle est bonne. Le père aime ces parfums, sauf kiwi, goûtera bientôt la citronnelle. Pour l’éducation du goût des enfants, ce n’est pas gagné…