Un 11 novembre sort » Une histoire de fou ». Le dernier film de Robert Guediguian. Un bon souvenir. J’y étais juré. Ma dernière figuration dans ce milieu de comédiens où les rangs se resserrent pour compter ses cachets, faire, atteindre le nombre d’heures necessaires au statut d’intermittent. 507 par an.
Ce film, donc. J’y étais juré au Palais de Justice de Paris, censé être celui de Berlin, dans une scène de procès en flash back années 15/20. Noir et blanc. Je n’ ai pas été coupé au montage, ce qui est rare dans ma carrière de papillon.
La déco ? La superbe Cour d’Appel boisée, fresques au plafond, patine du temps, pastiche de cette Justice se disant impartiale et l’étant parfois. On est censé être à Berlin. Le juge est allemand, les soldats prussiens, casques de caciques authentiques…
On assiste, on est partie prenante d’un procès, sur fond de règlement de compte éthique sur fond historique d’Arméniens génocidés par les Turcs, un tribunal parisien bien réel ralenti par la désertion estivale et la chaleur du mois d’août.
174 figurants remplissent la Cour d’appel. J’y suis un » juré intello » siégeant à droite parmi mes 6 confrères. Un jeune Arménien, une conscience pure ayant agi sur ordre de sa mère révoltée par le génocide, est jugé, c’est Robinson Stévenin, qui a remplacé Grégoire LePrince-ringuet au pied levé, dirait-on. Pour avoir liquidé en pleine rue le Pacha turc à Charlotenburg, en mars 1921, au nom de son peuple. Au nom de 20 000 victimes, au nom d’un génocide d’un million de victimes arméniennes, avec préméditation, récapitule le juge. « Si c’était nécessaire de le refaire, je le referai ! », scande l’accusé au juge. Nous, les jurés, devenons juger de tout cela en toute impartialité. Tous parlent allemand, moi y compris, on s’amuse à en rajouter alors que personne n’a de dialogues. La seule silhouette (tarif de 150 euros/jour u lieu de 105 pour les figurants, est un juré qui pleure quand un expert pro-arménien fait circuler les photos du génocide. Cela devient entre deux prises un festival linguistique et littéraire improvisé avec mes voisins et comparses de tournag, nous rivalisons d’esprit comme des personnages de Tchekhov ou Pirandello, c’est peu de dire que j’adore !
Dans un couloir, une assistante passe en talkie walkant: « Alors, j’ai deux assesseurs, une machine à café, un prussien qui dort sur un banc, je fais quoi ? » Le coiffeur, les maquilleurs, ne cessent de venir vous remettre une petite touche de ceci, de cela. De signaler les menus détails qui ne vont pas, si l’on rechigne, on est aussitôt dénoncé à qui de droit. ils sont là pour ça, tous ces personnages d’équipe. Jusqu’à la caricature, parfois, cela fait partie de la machine du cinéma, un peu surréaliste dans le déroulé de son théâtre opérationnel, à Holywood, en studio, ce serait puissance 10 ! On me passe par derrière mes cheveux propres du matin à la laque, saloperie chimique que je déteste, mais accepte, je suis là pour ça !
Second matin. Le réalisateur Robert Guédigian fait sa discrète entrée le long des allées de marbre sans fin du Palais où je marche pieds nus entre deux séquences, faisant sourire des gendarmes. Pour une fois qu’on peut jouir d’un si incongru privilège…
Les figurants du réel inversé entre fiction tourné et réalité aux alentours traversent le miroir des apparences. Celui de la Justice bicéphale, celui des vrais acteurs sociaux travaillant au Palais, téléscopant les 200 personnages costumés stockés dans les couloirs du Palais entre deux prises. Quel côté choisir ?
Que/qui choisir parmi tous ces figurants du réel professionnel ? Ces commis judiciaires du Palais transportant sur d’antiques diables (mini-chariots)aux roues grinçantes des piles de dossiers vieillots, comme il y a cent ans, près du greffe et des scellés, à 100 mètres du trop fameux 36 quai des Orfèvres où 52 kilos de coke viennent de s’évaporer dans les règles de l’art ? Des clientes anonymes croisées, un peu bling bling d’allure, qui viennent divorcer chic ou chicaner dur ?
Une foule de dossiers, de personnages sans nom. Tout cela est un peu kafkaïen, non ?
Une jeune avocate me raconte qu’elle vient juste « relever son courrier et interrompre des prescriptions ». Vous savez, le délai au terme duquel la loi ne peut plus agir… Elle est charmante. Mais il y a prescription, je le crains.
Ou choisir une « Histoire de fou » ? C’est le titre provisoire du film en tournage, déguisé en réel fictionnel, très bien organisé, où personne ne s’énerve. Robert dirige cela d’une main de maitre à l’accent marseillais chantant. Si bien qu’il éjecte le trop plein de figurants au bout de deux jours au lieu de 4 prévus… Ce n’est pas gentil, ainsi vont les machines, économisant ce qu’elles peuvent sur les dos des humains, au fur et à mesure du déroulement, en dépit des promesses orales. C’est une machine comme une autre, j’avais d’ailleurs bien vu venir cela : logique, ils avaient tourné toutes les scènes avec les jurés et le juge allemand, qu’on appludit rituellement pour sa fin de rôle. Défraiement de 45 euros pour les deux jours annulés.
Peu m’importe, sauf que j’avais modifié mon départ en vacances d’un jour pour cela, billet de train acheté, des frais pour rien…
De vrais avocats, raréfiés par l’été, toisent du regard en couloirs de jeunes premiers costumés aux fausses allures de freluquets. Ou bien vraies, ils ont l’air si satisfaits de leur jolie jeune personne qu’on ne sait trop…
Des nuées de fringants jeunes comédiens beaux comme une moisson estivale, papotent d’histoires d’acteurs de peu d’intérêt. Cela me semble futile, comme tous les milieux du monde du travail, ils parlent boutique, c’est insipidement réel… Les gendarmes et policiers, source d’approvisionnement surgissant hier du sous-sol du Palais sans fin, se tarissent : c’est qu’on est près du quinze août… Un assesseur monte à pied pour tromper l’immobilité des tournages. Je me promène jusqu’à la minuscule Tour d’Argent dans les coulisses du Palais, totalement interdits en temps normal, privilège unique qui me comble, ébauche déjà d’une poétique de plus pour l’arpenteur existentiel que je suis. Je noie la pluie tombant dehors, les trombes d’eau des orages d’août, dans les combles de mon imaginaire sollicité par ces replis médiévaux d’architecture (comme à la conciergerie et la Sainte-Chapelle, juste à côté)…
A midi, Robert le réalisateur partit manger seul le premier jour, après que j’aie discuté origines avec lui quelques instants sur le chemin (il est mi-arménien, mi allemand, comme moi, qui suis mi-portugais de l’autre côté) pour ma plus grande joie. On ingère ensuite son plateau repas digne d’une morgue agro-alimentaire, mais a deux pas du Métro Cité, derrière la cité aus fleurs, ce qui est un petit bonheur de plus, mon cher Watson…
Ici, je suis avec la pimpante comédienne Marie-Céline, sympathique occurrence. Elle veut monter, on en parle, un spectacle sur la pérégrination en ville, inspirée par les codes ludiques du surréalisme de « Nadja » d’Andre Breton et le situationnisme de Guy Debord…
Pour mettre en pratique cela, j’inaugure le hall d’un président de Cour contigu au décor du tribunal. Je pense que c’est une première…
L’arménien sera acquitté, ces images seront un flash back en noir et blanc… Qui me donneront l’impression d’avoir cent ans…
Finissons(-en) avec les riches heures et douteux exploits
d’un stupéfiant brigadier
star de l’été :
52 kgs de poudre d’escampette
– 36 Quai des Orfèvres…
= de l’art !
Magie du Saint-Esprit flicart
Es-tu lard ?
Cochons cachottiers ?
Augmentations tarifaires d’août ?
Cachons le grisbi
du côté d’Arcachon
ou de Perpignan
et les 20 000 euros en cash
nous reviendront de
plein droit !
Celui de se taire
de ne rien dire
comme ce brigadier taiseux
qui y gagne…
Se museler la bouche
comme Tony Muselié
son illustre prédécesseur
convoyeur
qui cacha son cash
le temps de sa peine
Qui le remisa
en attendant
le sursis ?
Autre chose : Le film Métropolis, que je révère, m’apparaît comme un pas si lointain echo précurseur de nos années technotracées. où TOUT de nos vies est vraiment devenu contrôlé… Fritz rirait-il jaune ?