Une petite construction lumineuse le rend toujours de bonne humeur printanière. En l’occurrence, une fleur reconstituée à partir de pétales sur une pelouse. Ils étaient si suaves, satinés comme un espoir juteux des jours d’été de l’être, roses mauves, flammèche jaune pistil à leur base. Je les ai donc rassemblés, avec un marron rance (cru automne 2013) au centre.
Puis trois petites filles pétales l’ont rejoint et imitéés, joie muette, extension du périmètre pėtaleux en atelier commun…
C’était pendant un mini set du chanteur funk brésilien Ed Motta. Un phrasé très soul, lisez l’article du Monde en lien, il le mérite…
Au jardin d’Acclimatation, un samedi de lancement de Sensacional Brasil, un village brésilien pour un mois (jusqu’au 11 mai) dans ce jardin, avec concerts gratuits, dont, en clôture, la sempiternelle Daniéla Mercury, Brandmark qui a un rien vieilli. Le tout organisé par un Brésil s’autocėlèbrant en cette année 2014 pour de footeuses et olympiques (en 2016) raisons… J’imagine le budget à l’échelon mondial…
Après le concert…
Un extrait de la bio d’Ed Motta ?
» Né à Rio-de-Janeiro le 17 août (« du signe du Lion égotique ») 1971, le chanteur, auteur et compositeur, qui n’était pas venu dans la capitale depuis neuf ans, représente un pan de la musique brésilienne peu connue hors des frontières du pays, très empreint de la soul et du funk américains, et dont le porte étendard fut Tim Maia (1942-1998). Tim Maia, voix rauque à la Barry White, rythmique entachée des saccades de guitares de Jorge Benjor et des facéties de Earth, Wind and Fire, était l’oncle d’Ed Motta, qui partage avec son défunt aîné sa corpulence.
Mais pas de dette, donc, envers cet oncle mort d’obésité, de consommation abusive de whisky, de cocaïne et de marijuana, après avoir chamboulé le paysage musical brésilien et préparé la grande vague du funk des favelas et des faubourgs. Mais un hommage à son compositeur, Genival Cassiano, né en 1943, sans qui « les succès de Tim Maia n’auraient pas existé ».
Nœud papillon, gilet et chemise à raies, barbe fournie et crâne lisse, Ed Motta cultive un certain personnage, raffiné, dandy dans l’âme, « nihiliste anarchiste pessimiste perfectionniste ». Tim Maia, qui apporta au Brésil l’Amérique noire des années 1970, avait dix-neuf frères et sœurs, une moustache fournie, et mélangeait Wilson Pickett, Luther Vandross à la samba carioca (de Rio) et au baiao nordestin – le label de David Byrne, Luaka Bop Records, a publié ce printemps une compilation de Tim Maia, Nobody Can Live Forever.
Ed Motta a pris le train suivant, et adoré le duo new-yorkais Steely Dan. Dans la conversation, il cite Billy Wilder, Igor Stravinsky, Stephen Sondheim, et le hard-rock, genre qui vit éclore ses talents de musicien (batteur déchaîné à 15 ans), avant qu’il ne fonde en 1998 le groupe de jazz funk Conexao Japeri.
« AOR », SON NOUVEL ALBUM
Quinze albums plus tard, il est en tournée internationale pour présenter AOR (pour « Adult Oriented rock, une expression créée par les radios américaines des années 1970 ») dans sa version anglophone, la version lusophone étant réservée au Brésil. Neuf titres de sa composition, habillés en anglais par le parolier Rob Gallagher, et en portugais par de vieilles connaissances comme la papesse du rock brésilien Rita Lee. En quartet (basse, batterie, clavier, guitare), Ed Motta cisèle les thèmes d’AOR, album produit avec un soin perfectionniste dans le studio installé chez lui dans le quartier de Jardim Botanico.
« Je suis un musicien à l’esthétique rigoureuse, précise-t-il, j’aime la pop techniquement excellente, je travaille en studio et je n’ai pas cette idée très brésilienne, très physique de l’œuvre qui grandit par la scène. » En scène justement, Ed Motta, au piano Rhodes, joue pourtant beaucoup de ses talents : chanteur subtil, adepte de l’human beat box (percussions et imitations d’instruments par le corps, grande spécialité brésilienne, avec le jazzman Hermeto Pascoal ou les groupes comme Barbatuques) et du récit improvisé – des sushis japonais aux séries américaines des années 1980, Magnum ou Miami Vice.
Le récit, à Paris, c’est aussi celui du vin et du fromage. Ed Motta a tenu une chronique sur le vin dans l’hebdomadaire Veja et le quotidien Folha de Sao Paulo pendant plusieurs années. « J’ai arrêté, cela rendait mes plaisirs trop techniques », poursuit l’homme enclin à se sentir « au-dessus, ou en dehors des choses de ce monde », ignorant les grandes manifestations qui ont envahi les rues brésiliennes en 2013 ou la lutte pour la refonte des sociétés de droits d’auteurs qui a mobilisé une bonne part des stars nationales cette année.
Ses albums, AOR, et auparavant Owitza ou Aystelum, ont été suivis avec précision par la communauté internationale (Japon compris) des amateurs de soul, de jazz mélangé. Au Duc des Lombards, il se trouve quelques Brésiliens et, pour eux, il fait une concession. Ed Motta reprend en portugais l’un de ses succès populaire, Colombina (2000). Les autres ont retenu qu’il avait travaillé à New-York avec Donald Fagen (Steely Dan) et qu’il avait suivi les sentiers sinueux d’une soul très balancée.
VIRTUOSITÉ, MAROILLES ET LIVAROT
C’est charmant, virtuose, toujours précis, même entrecoupé de longues citations sur le Maroilles, le Neufchâtel, l’Epoisses, le Livarot, le Coulommiers, l’andouillette et le gésier de canard qui lui provoquent des rêves plus ou moins belliqueux (pour suivre les échappées gourmandes d’Ed Motta à Paris, lire son compte Twitter@EdMotta).
Ed Motta a parfois la langue venimeuse, ce qui lui avait valu une grosse réprimande publique il y a deux ans, pour médisance sur Facebook (sur les femmes laides, et certains noms de la musique populaire brésilienne). Affable en scène, il s’en prend en privé aux mœurs musicales du Brésil, « un géant qui culturellement ne s’est pas encore réveillé ». Tenu par une nomenklatura opprimante, menée par la génération des Tropicalistes, Cætano Veloso, Gilberto Gil, Chico Buarque de Hollanda (« que j’admire », précise Ed Motta au sujet de ce dernier). « Tant qu’ils seront vivants, nous seront morts, il faut leur baiser les pieds, faire allégeance, sinon rien ne se passe. Tout ce qui arrive en Europe est accepté par eux, Lenine, Crioulo, etc. J’ai l’impression que même si les Anglais parlent toujours autant des Beatles, les chapitres de l’histoire de la musique populaire continuent de se tourner. Pas au Brésil. Je suis universaliste, je ne suis pas de ceux qui veulent parler de leur village pour parler du monde. »
Ed Motta est un collectionneur de vinyles. « J’ai commencé tôt, et j’en ai 30 000 environ. Je voulais faire de la musique pour qu’un disque de moi figure dans cette collection », poursuit cet admirateur de musiciens singuliers : « Magma, Christian Vander, j’adore, Donny Hathaway, le meilleur chanteur soul, et puis le compositeur brésilien Moacir Santos, dont je possède un album très rare, Coisas de 1965, et qui a travaillé avec Lalo Shiffrin. »
LA QUESTION NOIRE, CENTRALE
Musicalement américain, métis carioca, Ed Motta place au centre de son art la question noire, traduite par le jazz, le funk, la soul, la samba et ce groove si particulier des Américains du sud quand ils jouent ces musiques hybrides et codées. « Au Brésil, nous n’avons pas eu de Marcus Garvey ou de Malcolm X, ni même de Martin Luther King, plus policé, la révolution ne s’est pas faite et les Noirs restent en marge de la société. Ils ne sont pas présentateurs de télévision, rien de tout cela. Ils ont cette joie innocente ! »
Au pays du vin et du fromage, Ed Motta reconnait ainsi une autre qualité : celle d’avoir amené à Paris le grand compositeur nègre de Rio Pixinguinha, en 1921, « avant Villa-Lobos. Voilà bien un pays progressiste ».