Des couloirs somptueux, un rien sombres, imprégnés de bois de santal. En rituel d’accueil, du lait d’amandes à la fleur d’oranger, quintessence du raffinement marocain, une datte Deglet Nour. Aussi dodue et fondante que l’élégante promesse d’un séjour à part. Isolé de la ville trépidante (la fameuse place Jemaa-el-Fna, singes et charmeurs de serpents) par des remparts safran changeant de couleur selon le soleil. On se dit qu’il n’est pas si loin le XVIIIe siècle où un sultan offrit en cadeau de mariage à son fils, le prince Al Mamoum, un luxuriant jardin au coeur de la ville impériale de Marrakech.
Vitrine des savoir-faire des maâlems (maîtres artisans), en même temps tellement dans l’air du temps, ce palace (dont le spa a force de sombre superbe m’intimida presque, devant m’en sentir vaguement indigne, en tout cas éloigné d’un prince de rang au casting parfait…)
Il s’est mis (pas le spa, l’hôtel) en 2010 au service du rayonnement de l’écriture au Maroc, avec un prix littéraire remis fin septembre. « La qualité de sélection et les membres du jury vont depuis s’embellissant » me confie durant le déjeuner suivant la remise de prix (préparé au restaurant français par le chef Vigato de l’Apicius, à Paris) le directeur régional du très (trop ?) institutionnel quotidien marocain Le Matin.
C’est ainsi qu’on avait pu croiser la veille, d’abord en bermuda à fleurs le long de la piscine, puis en costume noir de rigueur, le membre du jury le plus connu : Douglas Kennedy, prolifique écrivain américain d’intrigues psychologiques,
dont le rédacteur en chef d’un magazine littéraire français me dit : Oui Oui, il écrit vite, Douglas, le problème c’est qu’il écrit parfois trop vite... Il faut savoir ce que l’on veut, j’imagine. En tout cas, après trois heures de débats, il a concouru, sous la présidence de Christine Orban, romancière aux yeux clairs ayant grandi à Casablanca, à remettre le quatrième Prix à Analphabètes, un livre mince et dense comme une traversée du désert, de Rachid O, écrivain publié en France chez Gallimard depuis 1995. expatrié, celui-ci est provisoirement de retour au pays, en tout cas le temps de la Remise de prix. C’est qu’il n’est pas toujours le bienvenu en ce pays où le droit à la différence est loin d’être en odeur de sainteté, on ne vous apprend rien. C’est en se sens que ce prix littéraire mamouniesque, venant d’une maison qui a pignon prestigieux sur rue, apparait comme une forme d’engagement…
Pour ce livre, Rachid O. puise dans ses racines pour raconter son père, la difficulté d’arriver aux autres, celle de ne pas être « analphabètes » de nos émotions. Pour le membre
du jury Alain Mabanckou (écrivain congolais de langue française très apprécié), il s’agit « d’un éloge discret de la liberté, en pleine maturité, sans scansion ni militantisme.
Comme on le dit en Afrique, Rachid O. est comme le lamantin : animal qui a besoin de retourner aux sources, pour mieux parler de la perte d’un père… ».
Résultat des courses pour le lauréat ? Vingt mille euros et un billet en classe affaires pour l’Europe. Qui lui sera peut-être utile pour faire la navette entre ses deux mondes,
lui qui est doté de ce double regard un peu triste dont jouissent les exilés de corps et de coeur… On fête cela au très rouge velours et jazzy Bar Churchill, avant une visite guidée de la médina et des ses artisans en action. Ça sent le cuir, comme dans les fabuleux ascenseurs capitonnés et cloutés du palace. Mais avec une note plus fauve…
Cela ne sent pas la menthe bergamote que j’ai prélevée dans le potager au bout des 8 hectares de parc de la Mamounia. Où le regard se perd dans les allées et contre-allées bordées d’oliviers centenaires, donnant au loin sur les proches montagnes de l’Atlas, au près sur le minaret de la Koutoubia (grand repère des Marrakchis). Le lendemain, on envisage de pousser côté mer vers Essaouira, côté Atlas vers Ouarzazate.
Trop ambitieux, il faudrait rester plus longtemps. Va pour le jardin Majorelle (autour de l’ancien atelier transformé en mini-musée berbère en 2011) de l’artiste peintre nancéen venu en 1919 poursuivre ici sa carrière d’artiste peintre. Le lieu a ensuite été racheté par Yves Saint Laurent, qui s’y isolait pour créer ses collections. En témoigne encore une pièce exposant ses dessins de voeux envoyés à des amis. Inspiration et couleurs rappellent les dessins de Matisse. Après la disparition du styliste en 2008, le lieu a été offert par Pierre Bergé à la ville. Et il a servi en août dernier au tournage d’un film de Jalil
Lespert sur la vie du couturier. Incarné par le jeune acteur Pierre Niney, que l’homme d’affaires a eu un vrai coup de coeur en découvrant dans ce rôle, autorisant du coup l’équipe à accéder aux lieux familiers. Un autre film autour d’Yves Saint Laurent, non autorisé par Bergé celui-là, se prépare ! Par Bertrand Bonello, avec Gaspard Ulliel dans le rôle principal… Curieuse, cette manie des producteurs de laisser deux tournages sur le même thème se faire…
L’accueil est sacré en ce palace alléchant et point surfait…
Voici enfin pour la bonne bouche la chronique de ma collègue de l’Express, à la chute inattendue :
Le week-end du 28 septembre, La Mamounia organisait la 4e édition de son prix littéraire. Par Marianne Payot
Prix des Deux-Magots, de Flore, de la brasserie des Lilas et… de La Mamounia. De Saint-Germain-des-Prés à Marrakech, les établissements de luxe aiment à cultiver leur réputation littéraire. Bien sûr, La Mamounia, qui délivrait ce week-end son 4e prix littéraire, est encore une lilliputienne en la matière. Pour se faire une idée un peu plus précise, nous n’avons pas hésité à aller sur place. Travailler le dimanche, les affres du métier… Nous n’étions pas seul à partir bricoler au Maroc. Avec nous, de nombreux journalistes québécois, belges, suisses, espagnols et même anglais!
12h30
Le verdict tombe: c’est Rachid O. qui remporte le pompon pour Analphabètes(Gallimard), publié après dix ans de silence. Né à Rabat en 1970, homosexuel en prise avec l’environnement musulman, comme il l’a si bien évoqué dans ses romans (L’Enfant ébloui, Plusieurs vies, Chocolat chaud, Ce qui reste), Rachid O. vit depuis longtemps en France. Mais il est bien là (comme la plupart des autres sélectionnés), en ce samedi, très ému au moment de prendre le micro et « content d’être ici [moi] qui ne l’étais pas pendant des années ». Éloge du père, éloge de l’écriture, et rappel de sa longue traversée du désert, Rachid dit avec franchise les affres d’un homme et celle de l’écrivain. Alain Mabanckou, son plus fidèle supporter semble-t-il, l’explique aussi avec ses mots et son sourire, qui font chavirer les jeunes journalistes (du sexe féminin) qui découvrent l’auteur des Lumières de Pointe-Noire.
13h30
Champagne, vins et jus divers, 28 degrés à l’ombre, tandis que de Paris, tombent quelques nouvelles pluvieuses… C’est Jean-Pierre Vigato, le sympathique chef deux étoiles de l’Apicius, qui prodigue ses précieux conseils au restaurant français de La Mamounia. Un week-end difficile, on vous l’a dit… Mais l’homme doit vite partir. Le soir même, il reçoit Carla Bruni-Sarkozy dans son établissement de la rue d’Artois.
20h00
À La Mamounia, les libations suivent leur cours. On apercevra Mathieu Lindon à la table de Rachid O. et Douglas Kennedy, tout de noir vêtu, faire un faux pas… et glisser dans l’un des nombreux (et traitres) bassins de l’hôtel. Pas de drame… Le thermomètre n’est pas encore descendu en-dessous de 25 degrés.
