J’aime le liège depuis quatre mille ans bien tassés. Quand Grecs, Romains, Chinois, Assyriens et Perses en découvrirent les potentiels. On l’utilisa bien sûr comme bouchon pour les amphores dans l’Egypte ancienne (comme plus tard le moine Dom Pérignon le fera pour le champagne). Pour fabriquer chaussures, semelles, bouées, outils de pêche. Il a protégé du froid et de l’humidité les cellules de moines dans des couvents. Il a été utilisé dans les caravelles de mes ancêtres navigateurs portugais au XVe et XVIe siècles.
Un ami érudit m’a appris hier que Marcel Proust en avait fait tapisser les murs de sa chambre. De nos jours, il continue à isoler nos maisons et voyage en revêtement d’ogive du haut des navettes spatiales de la Nasa et d’Ariane 5. Très résistant, ce sphinx de liège brûle quand même lors de la rentrée dans l’atmosphère. Mais lentement et sans produire de flammes, d’où son choix.
À une heure de Lisbonne, dans la forêt alentejane de Coruche…
on dit que dans le liège comme dans le cochon, à l’emploi tout est bon. J’ai assisté à l’écorçage (de juin à juillet). Quand on a le bon coup de main et de machette, ça se détache facilement, dix minutes par arbre, en un craquement mat étouffé par la sèche chaleur estivale (43 degrés e ce jour de juillet), ça sent bon le liège frais, c’est un écosytème complet. Selon ses promoteurs, l’écorçage est le travail agricole le mieux rémunéré du monde (100 à 120 euros par jour, plus que les vendanges en Californie).
J’ai ensuite visité trois des 30 usines d’Amorim, le leader mondial du secteur. Ce groupe resté familial, sous la houlette de Antonio Rios De Amorim, qui le dirige depuis 2001, en compte 17 au Portugal, huit en Espagne, le reste en Algérie, Tunisie, Maroc, Etats-Unis et Argentine. Mais seul le liège produit au Portugal et en Espagne sert à fabriquer les bouchons en liège naturel destinés au haut de gamme des domaines vinicoles du monde entier, par exemple Châteaux Margaux en Bordelais. Un bouchon superbe, valant 2 euros la pièce. Pour le tout-venant, la mise de base est de 0,2 cent.
Entre les deux, toute une gamme de bouchons intermédiaires, appréciés par 70 % des producteurs de vins, pour environ douze milliards de bouteilles par an. Par exemple le Twin Top : deux rondelles de liège naturel aux deux bouts du bouchon, pour le plaisir des yeux et le contact avec le vin, la partie centrale étant en aggloméré.
Dernier-né, le Helix, qui associe un bouchon de liège rainuré à un goulot en verre fileté. On le visse facile pour l’ouvrir et le refermer. Il s’agissait de contrer la progression des capsules à vis en aluminium et synthétiques sur les marchés viticoles d’entrée de gamme…
La suite dans mon article ci-dessous, et plein de photos à venir bientôt…
Saga du liège
Au tournant du vingtième siècle, il était distancé, ringardisé, juste bon pour les revêtements muraux où enfoncer des aiguilles ou isoler du froid. Et puis pour les sacs souvenirs plaqués liège en contenant 10 pour cent, mêlé à des polymères plastiques.
Depuis 2000, il a su rebondir
Logique :
Résilient en diable, il retrouve toujours sa forme d’origine !
Entre autres stratégies, il s’est donc différencié (chez Amorim et d’autres acteurs du secteur) en s’inscrivant dans le paysage contemporain du design, de la décoration, des arts plastiques avec sa valeur ajoutée.
On peut d’ailleurs visiter (en groupe, sur demande) le showroom présentant toutes les applications et l’usine Amorim Cork Composites.
On verra par exemple toute la gamme Materia, très sobre, digne du Bauhaus, conçue en collaboration avec des designers et la biennale de lisboète, Experimenta Design.
Dont le service à thé céramique sur liège de Raquel Castro, qui nous fit visiter. Je suis allé ensuite l’acheter à Lisbonne, dans les ruelles du Bairro Alto, à la boutique de design en liège Cork & Co. On y trouve aussi les tambours du jeune couple de designers du Studio Pedrita (pour Pedro et Rita). Ils en ont conçu trois, qui produisent des sons différents selon la densité choisie. Comme leur fils de 3 ans, je les ai testés. En allant les voir dans leur studio de Benfica (oui, juste à côté du stade de l’équipe de football éponyme – et de chez mes cousins, d’ailleurs).
Retour à l’usine Amorim Cork Composites. Elle est située à quinze minutes de Porto (ville du cinéaste centenaire Manoel De Oliveira) où l’on dîna et dégusta le soir, sur les bords du Douro, dans la zone des producteurs de Vila Nova de Gaia, de précieux flacons millésimés. Dont un historique cru de 1952, année du jubilé de la reine d’Angleterre. C’était chez Graham’s, maison de Porto dont les superbes chais d’accueil ont rouvert en 2012. Il y a près de là aussi, dominant en une vision picturale Porto en face, un chic et récent hôtel à l’esprit british : le Yeatman OPorto.
Mais je m’égare et c’est dommage : il me faut encore donner l’opinion des architectes sur ce matériau. En 2012, les Suisses du cabinet Herzog & de Meuron l’ont utilisé à Londres pour leur installation estivale à la Serpentine Gallery. Cette prestigieuse galerie donne carte blanche annuelle à des starchitectes et artistes (le Chinois Ai Weiwei) pour créer une monumentale exposition de plein air dans Hyde Park. C’était superbe, et avec des tabourets bouchons de champagne (voir la photo en p. 52). Siza Vieira et Souto Moura, deux Portugais très renommés, l’avaient choisi en précurseurs pour leur Pavillon du Portugal à l’Exposition universelle de Hanovre en 2000. Pour les revêtements extérieurs apparents (une première) et des pavements mixtes liège/ciment : « Ces deux applications nous ont paru innovantes et excellentes. Depuis, bien des architectes ont utilisé le liège apparent d’extérieur. »
Peut-être est-ce pour cela que le pavillon du Portugal de la Biennale de Venise 2013 en utilise de nouveau jusqu’à fin novembre. Ce pavillon est flottant, mouvant : il s’agit d’un ancien ferry de Lisbonne reliant les deux rives du fleuve Tage, le Cacilheiro. Il a été réaménagé par la plus connue des artistes portugaises : Joana de Vasconcelos, qui a travaillé avec des artisans pour des peintures de Lisbonne en carreaux de faïence bleu et blanc (qu’on appelle azulejos) et des sculptures de laine tressée constituant les marques de fabrique de son travail. Baroque, exubérant, parfois jugé folklorique, notamment par mes cousins, intellectuels exigeants. En tout cas, ce ferry navigue joliment sur les eaux de Venise, ce qui est aussi une façon de renouer avec les navigateurs du Portugal d’antan… et la splendeur retrouvée de sa filière liège aujourd’hui.
Amorim, entreprise portugaise de 3350 employés, est hélas l’une des seules qui sort du lot, ou plutôt du marasme ambiant. Mais depuis, la situation au Portugal va bien mieux. Si l’on met de côte les circonstances Covid…