Parfums majorquins dans la vallée de Sóller
On est à Palma, dans la partie montagneuse de la plus grande île des Baléares, dans la Serra da Tramuntana. Que surmonte le Pic Maior à 1450 mètres. Mais la mer est juste en bas de notre hôtel Mar Bell, qui domine joliment baie et port. Ce contraste et les falaises rappellent un peu Madère. Depuis l’arrivée à Palma, puis à trente minutes de là, à Port de Sóller, il aura plu trois jours.
Ça arrive à la lisière d’avril et mai, ça passera. Et qu’importe car les milliers d’orangers sont en fleurs ! En ce J3 de randonnée, après le pique-nique tiré de nos sacs (pâtes au thon, fromage de brebis local, nèfles et chocolat en dessert), un parcours assez technique nous entraîne sur le versant oriental de la Serra de Balitx jusqu’au col surplombant cette vallée. On croise de nombreux doigts de dieu, comme on nomme ici les aiguilles rocheuses, dans une ambiance de plus en plus sauvage…
Notre guide suit des traces au sol pour trouver le sentier, des cairns pierreux le confirme. On glisse le long de quelques vires (des passes montagneuses) qui sembleront impressionnantes quand on les verra d’en bas. Puis on grimpe à un col pour rejoindre la côte. Déjà en vue, la tour de guet da Picada, construite après que deux mamas majorquines
eurent effrayé et refoulé, en en précipitant un dans le vide sous leurs yeux, l’envahisseur turc en 1561.
Un épisode commémoré à Sóller les seconds dimanche et lundi de mai, avec drapeaux espagnols et turcs hissés devant les maisons, et reconstitution de luttes sur la plage, chacun choisissant son camp. Nous avons marché près de huit heures, en reste l’impression valorisante de s’être dépassé sur un parcours qu’on ne ferait jamais seul. Evalué par notre guide, Laurent Dufour, « à 3 sur 6 sur l’échelle de l’escalade en montagne ».
Chaque jour, on sentira l’odeur suave des orangers et citronniers en fleurs dans les vallées, la nature opérant pour cela avec une grâce surpassant celle des meilleurs parfumeurs de Grasse…
Jour 3
Sur le silencieux plateau de Sa Muleta, on croise desmilliers d’oliviers tricentenaires, aux troncs noueux, étranges comme les formes encrées des tests de Rorschach, mais en 3D. On éprouve le bonheur des rencontres, la veille, avec les membres du groupe pour cette première randonnée en boucle dans la vallée de Sóller (tirant son nom de l’arabe suliar : or). Chemin faisant, Jean-Pierre, botaniste de métier et de passion, venu avec Clara, détaille pour les dix autres membres du groupe toutes les créatures du règne végétal croisées sur les sentiers. Chèvrefeuille ou micocoulier, dont il est bien le seul à savoir qu’on l’appelait « l’arbre à cravache ».
Car ses feuilles servaient jadis à en fabriquer. Il se souvient d’une usine de cravaches à Collioure. Plus loin, lui et l’autre botaniste de coeur du groupe, la Bretonne Chantale, restent baba devant un bel avocatier.
Ce groupe Chamina Voyages est mené par un Auvergnat, Laurent, comme son agence de Clermont-Ferrand. Elle a d’ailleurs un partenariat avec deux agences suisses : Via Verde Reisen et TPT (« Tourisme pour Tous »). Pauline, 18 ans, a reçu de sa famille bretonne ce séjour en cadeau pour ses 18 ans, ils sont cinq à l’accompagner, dont son oncle Antoine, qui s’avérera être un fan de bandes dessinées des années 1980, comme notre botaniste et moi d’ailleurs, d’où d’hilarantes causeries de sentiers…
Jour 4. En ouvrant les volets, le beau temps est revenu, youpi ! On part en bus pour une journée libre dans la belle capitale au patrimoine moderniste, Palma (400 000 habitants).
Il me faudrait trois autres pages pour en parler, mais allez-y, elle le mérite.
Le lendemain, trois taxis nous montent au lac de Cuber, une réserve naturelle. Tandis qu’on monte vers le col de l’Ofre (875 mètres) un faucon tourne autour d’une brebis gravide ou jeune maman. On observe son manège avant de descendre le long du torrent de Biniareix, ceinturé par des lignes d’oliviers en espalier. On papote sur l’antique chemin de pèlerinage pavé menant à l’imposant monastère de Lluc, où l’on ira le lendemain. Clara y a déjà dormi il y a vingt ans, elle en garde un souvenir ému. Son Jean-Pierre de mari débusque trois luzernes sauvages remarquables Espagneet une variété d’oignon toxique ; « avant, on empoisonnait les rats avec », commente sobrement l’homme de l’art aux moustaches nietzschéennes, qui confesse un faible pour les figuiers. On en verra un en traversant un pont où Pauline et son demi-frère jouent les équilibristes. Après deux villages aussi préservés que tout le bâti majorquin, l’arrivée sur Sóller, ouf !
Terrasse et glaces bien méritées sur la Grand-Place de la Constitution, face à la cathédrale. D’où, tels des ruminants bien posés après la marche quotidienne, l’on voit passer les trois wagons du tramway centenaire en bois rétro (même modèle qu’à San Francisco, proche de celui de Lisbonne), qui nous ramènera ensuite à Port de Sóller. Un train aussi rétro permet d’aller à Palma. Le soir, buffet majorquin savoureux. Le dernier jour sera culturel et nostalgique, un peu initiatique. Sur les pas de la baronne écrivain George Sand et de Frédéric Chopin, qui passèrent l’hiver 1838 près d’ici, à la chartreuse de Valldemosa. La première, qui écrivit ensuite Un hiver à Majorque, dira qu’il s’agissait de son plus beau cadre d’existence. Le second y achèvera une de ses Polonaises et ses 24 Préludes pour piano. Merveilleux lieu où l’on peut assister quatre fois par jour à de petits concerts : ce jour-là, au piano, le doux Prélude de la goutte d’eau.
Peu après cette portée musicale enivrante d’agrumes en fleurs, notre semaine de randonnée s’acheva sans anicroche. Avec comme un avant-goût d’été et des nuages en sommet frôlés.
Le pdf : ici Majorque
Nb : Remerciements sans tralalas aux membres du groupe Chamina