Etre dans la morale du matériau et refuser le moralisme, être dans la mémoire du matériau et refuser la leçon, être dans le violence du matériau mais en révéler la tendresse. »
Une exergue digne de Rudy Ricciotti, extraite de son exposition à la Cité de Chaillot achevée le 8 septembre . C’est beau à faire couler des larmes de béton à Lafarge et Copé, non ?
Je n’ai pas pleuré, mais j’ai bu du Bandol blanc avec un natif de cette ville du Sud, le bon et bel architecte Rudy Ricciotti, à la Cité de l’architecture de Chaillot, qui consacrait une exposition jusqu’au 8 septembre à cet alchimiste inspiré du béton fibré haute performance. Son béton à la souplesse lissée du latex, mais pas d’usages sado-masochistes pour autant…
Musée Cocteau, Séverin Wunderman, Menton, 2012 (toutes images, DR Lisa Ricciotti). L’araignée de nuit est anémone distinguée, coquillage anamorphe comme Rudy les aime…
2013, année Ricciotti
Il en parle bien du béton, d’une façon très organique, le roule sous l’aisselle dialectique, le moule sous forme de prouesses stylistiques en ossuaire, fémurs et autres trouvailles formelles tubulaires, sinusoïdales, arabesques calligraphiques.
Ces drôles de tubes lisses, ces arrondis, ces pattes d’araignées, ces colonnes à forme de vagues (au musée Cocteau à Menton, face à la mer), il les monte en séries triangulaires, il les associe, il les lie aux démarches des artistes qu’il aime.
Bref, il fonctionne aussi par associations d’idées, de formes, de textures, comme tout le monde. Le filet de son épuisette à idées est habile, autant que lui est labile, et c’est dit avec affection.
3250 de ces triangles presque iconiques, dont chacun est unique, sont pour ainsi dire montés main et utilisés pour l’un de ses derniers chantiers en date (après le si attendu Mucem ouvrant en juin à Marseille). Celui du stade Jean Bouin à Paris, dont le chantier s’acheva en août 2013 : (Stade de Rugby Jean Bouin, Paris, livraison septembre 2013). La couverture, disposée en auvent au-dessus des tribunes, est supportée par une charpente métallique de 74 fléaux jusqu’à 40 mètres de portée.
Rudy, à son propos : C’est le stade que vous avez choisi, lance-t-il aux élus présents. On a travaillé sans filets pour offrir le résultat : un stade qui semble danser, qui fait la « ola »… » Le 1er décembre, un micro trottoir avec des spectateurs présents au match de rugby Toulon/ Stade français (0-21) de la veille (30 novembre) m’a permis de constater tout le bien qu’ils en disent :
» Oui, c’est un lieu superbe, car très bien conçu, le terrain est proche, tout le monde est bien placé, une vraie réussite »
La Ola, donc ? Oui, La Ola un plasticien du béton transformé en résille, en dentelle structurelle, comme ces images le montrent mieux que de longs discours. Les femmes trouvent cela sensuel et dévoileraient volontiers leurs bas résilles à ce Casanova de la superstructure et du Gros oeuvre, teinté d’un certain maniérisme éclairé.
On se laisse prendre dans le filet de son épuisette d’architextures.
Oui, ses résilles de bâtiments seraient comme les filets grillagés qui lui servent à choper écrevisses & langoustines, comme les oursins entrevus dans le film à lui consacré par Laetitia Masson. Belle structure, un oursin, qu’il ne désavouerait pas, dont il fera peut-être quelque ossature ou surface de bâtiment.
En plus, l’oursin, c’est bon comme du corail orangé, comme les reflets du soleil sur la paroi vitrée du Mucem, qui reflète la Bonne Mère sur le front de mer marseillais.
Mais bonne mère, qu’on me pince, qu’on me fouette en chantilly : voilà que je m’égare et qu’à mon tour, je pourrai être mis en examen pour tort de faire l’auteur sur le dos de Rudy !
Rudy utilise depuis quelque temps les talents de son fils mathématicien, Romain, qui met les équations les résolutions sérielles nécessaires au bâti à venir.
Cet artisan architecte parle de son art de chef d’orchestre : « je dirige à coups de baguette, mais ce n’est pas moi qui joue, ce sont les musiciens des entreprises, auxquels j’impose les contraintes spécifiques à mes chantiers… et que je remercie bien au passage : Le Mucem représente onze Atex, c’est-à-dire onze autorisations expérimentales, donc onze fois trouver des procédés constructifs qui n’existent pas, et les faire valider, les faire agréer. » C’est la citation officielle.
En aparté durant la visite, il ajoute : « Et c’est onze fois autant d’emmerdements avec l’administration, dont le champ normatif finira par tout empoisonner. Je ne recommencerai pas ! ». Mais si, Rudy, pour de si beaux défis, gageons que vous recommencerez ! Sur l’air de la chanson : Ah tu verras, tu verras, tu recommenceras…
Une exposition érudite, façon insiders, un regard vu du dedans de la matière, pour initié et amoureux de l’art et de la belle ouvrage de dentelles résilleuses… Sont exposés les tubes de béton grandeur nature, des chevilles, des ossatures, des tibias et des deltas de béton des chantiers. Le travail de bâtiment en bâtiment est à découvrir sur les diaporamas muraux, c’est un bonheur visuel.
Départements des Arts de L’islam, Le Louvre
Le film L’orchinoclaste (52 minutes) de Laetitia Masson
Ou Rudy de Bandol dans la chaleur de l’été
Comme il est bel homme, une cinéaste, qui fait le plus souvent souvent des portraits de femme, Laetitia Masson, a décroché la timbale. Une commande estampillée Marseille Provence 2023 pour un portrait subjectif de lui. Elle dit au début qu’elle avait envie de faire un film romantique à la King Vidor, qu’elle trouvé là la base d’un accord.
Qu’elle le veut , le voit, le f(r)ictionne en bel homme d’un sud Camarguais pêcheur de langoustines et rêveur, en personnage subjuguant. Elle est subjuguée, elle ne se perd pas dans le gué, lui non plus, ils ne sont pas dupes, ils en jouent tous les deux.
Rudy, dis-lui oui !
Elle en fait son rubis de Bandol, elle en fait un peu trop, dans ce portrait, on dirait du Christine Angot, elle utilise de beaux trucages narratifs, des surimpressions promenades et bâtments, des intertitres à la Godard comme il en faut, lettres blanches claquant sur fond noir. Elle use de ficelles un peu maniéristes d’artiste mateur se contemplant dans son regard sur son sujet.
Un architecte en Marcel bronzé conduisant son 4/4,
filmé tout près, sueur perlant sur l’avant bras viril au volant, soleil lèchant le tout. Mais bon, ça passe bien, un peu comme un clip touristique parfois.
Après la projection, j’entends un collègue susurrer « ce film est un ramassis de clichés méditerranéens. » Pas envie d’être aussi méchant que lui . Maybe car de temps en temps, je veux bien faire semblant d’ être un peu girly, m’amuser du portrait d’un génie en beau mec à l’heure de l’apéro pastaga par une femme du Nord qui cherchait le bon angle sur on ange ricciottien.
Allez, soyons bons, c’était prévisible qu’elle ait voulu aussi qu’il y passe de la sensualité, c’est bien aussi dans un film sur lui, car le Rudy vaut quelques détours sensuels.
Elle en dit trop aussi, mais aussi parce que lui, Rudy, « ne voulait pas être le seul à parler ». Elle rappelle aussi « qu’elle aurait préférée se taire, que c’est pour se taire qu’elle aime faire des films sur d’autres êtres ». Elle traverse allègrement la frontière de l’arty show auto-fictionné, elle se regarde le filmer, et vice versa.
Et vice intime, amusant parfois, on a un peu envie de lui mettre des coupes de baguette sur les doigts pour qu’elle cesse parfois. Comme un vieil instit pédophile d’antan ? Ou ben de la couler dans le béton de Rudy, elle serait ainsi immortalisée.
Elle rêve de Rudy en été
Ce portrait documentaire est « L’orchidoclaste, Rudy Riccotti vu par Laetitia Masson ». Il sera diffusé le samedi 27 avril à 18h 30 sur TV5 Monde. Au pied de la lettre, sa vision distraitt, comme une envie de beau mec (par la face hétéro, quand on est une femme) dans la garrigue, dans la chaleur de l’été (pour paraphraser la chanson du gourou barbu Sébastien Tellier).
Au second plan, qu’on se rassure, c’est quand même riche d’infos sur la saga Ricciotti, qui est sans doute l’un des architectes institutionnalisé les plus inspirés. Comme me le le rappelle Rudy, quand je mentionne le côté Pagnolade provencale du regard porté sur lui : « C’est pas moi, c’est elle ! »
A lui, on souhaite longue carrière prolixe à l’aune de son talent, et peut-être qu’il fasse évoluer sa grammaire stylistique. Même si, comme on m’a rétorqué, « les grands artistes travaillent toujours sur les mêmes motifs. » Ok, mais c’est aussi pour cela qu’il y en a marre de Picasso, parfois… et, forcément, respect et sublimation d’une belle oeuvre.
Ricciotti architecte, Cité de l’architecture et du Patrimoine de Chaillot, jusqu’au 8 septembre.
Photo : Le Mucem et le Fort Saint-Jean, Copyright Lisa Ricciotti.
Site de son Agence : www.rudyricciotti.com
et aussi L’ Architecture est un sport de combat Rudy Ricciotti. Conversation avec David d’Equainville, Editions Textuel
« Dans cet entretien, l’architecte Rudy Ricciotti, animé par un goût des mots et des formules qui saisissent les conventions à la gorge, bouscule les idées reçues.Il n’hésite pas à sabrer
-le « salafisme architectural » ambiant – ce minimalisme désincarné qui règne sur la création contemporaine – la « pornographie réglementaire » d’une administration omnipotente, -sans oublier la « fourrure verte », nouvelle doxa environnementale.
Ce virtuose du béton, grand défenseur des savoir-faire locaux, tient à expliciter ses combats, armé de ses principales œuvres : le Stadium de Vitrolles, le centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, le pont du Diable à Gignac, l musée Cocteau à Menton, le MuCEM (musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille…
Il dresse ici un portrait sans concession de sa profession et de son enseignement. Un manifeste provocant et salutaire.
Rudy Ricciotti, Grand Prix national d’architecture en 2006, est membre du comité éditorial de la revue l’Architecture d’aujourd’hui et a publié en 2007
« HQE, Les Renards du temple » aux éditions Al Dante qu’il préside depuis 2009. L’avant dernier bâtiment conçu par Ricciotti, le MuCEM (musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), fut inauguré en juin 2013. Le dernier est le stade Jean Bouin à Paris en septembre. Le 1er décembre, un micro trottoir avec des spectateurs présents au match de rugby Toulon/ Stade français (0-21) m’a permis de constater tout le bien qu’ils en disent : « Oui, c’est un lieu superbe, car très bien conçu, le terrain est proche, tout le monde est bien placé, une vraie réussite »…
Au fait, qu’est ce qu’il craint le plus au monde, lui a t-on demandé (pas moi) :
« De ne plus pouvoir bander ».
Ola !
Bonjour Christophe,
Si vous me dites un jour que vous n’aimez pas ni le matériau ni son prescripteur, j’aurai de la peine à vous croire.
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