Je me suis raccroché au wagon de queue d’Edward Hopper au grand Palais. Il m’a toujours fait l’effet d’être un pendant transatlantique de Magritte, même si cette définition pourra sembler réductrice.

(illustration_Romain Lamy Telerama)
Car en effet l’univers Edward H n’a rien à voir avec le mystère un peu sentencieux se dégageant de la geste magrittienne, que j’adore par ailleurs. Une ancienne affection teintée de fascination qui me fut transmise par ma mère (qui le révérait comme une petite fille devant une image iconique, si ce n’est tutélaire).
Ellle se réveilla, cette enfantine affection, lors de l’inauguration de son musée à Bruxelles en 2009.
Aparté : J’avais d’ailleurs discuté ce jour là pour un article avec son ayant droit, un fort élégant début de quinqua. Il était devenu ayant droit par un vrai petit conte de faits, un joli tour de passe-plats du hasard. Celui qui n’abolira jamais les dés des lieux :
L’ayant droit, pas le hasard, était livreur de teinturerie ou de chocolat (les deux hypothèses existent), devint le confident de veuve Georgette (celle de Magritte). Dame esseulée, donc s’étant pris d’affection (platonique, pas nique) pour ledit livreur, jusqu’à le coucher sur son testament, et nulle part ailleurs. Que je sache, et peu importe. Donc, le voila, 30 ans plus tard, ayant droit divin de l’oeuvre de René, qui n’avait d’autre héritier que ses 208 hétéronymes en peinture. Top cool !
Mais je m’égare, encore un peu je remonterais au montres molles de son lointain cousin en surréalisme tendance roccoco-marchand, j’ai nommé Dali.
Donc, revenons tout rond à Hopper Edward. Qui me parait plus proche des intérieurs, des actions suspendues dans une dimension parallèle, d’un Klossoski de Rola, dit Balthus, voire de son frangin Pierre Klossowski. Parmi mes préférés, ces deux-là aussi. Evidemment, leurs personnages enduits bien profonds dans la perversion du regard, dans l’absolue nudité insoutenue, offerts, provocants, provoqués en dedans du dehors, sont loin de la neutralité de ceux de Magritte…
si propres sur eux qu’ils ne savent pas qu’ils existent
ou d’Hopper.
… qui semblent ét(r)eints par leurs appartenance aux coulisses de l’américanité triomphante. A rebours de tout rêve américain, et pourtant comme un rêve, une volonté de trêve hors de l’amère rique.
Nez en moins, ces trois peintres ont
en commun
quelque chose de kafkaïen.
Ensuite vint le sublime cousin Lucian Freud, (de la même famille que Sigmund, oui) aux personnages délictueusement inexpressifs, revenus d’on ne sait quelle bourde fondatrice, comme des acteurs appliqués ou d’authenthiques absents à leur propres être, entre les deux, mon coeur balance .
Très content d’avoir découvert certaines toiles Hopperiennes qui m’étaient inconnues au Grand Palais, dont celle-ci :

« Excursion into philosophy », d’Edward Hopper, 1959. Crédits photo : Coll. part./Grand Palais
Cette bien (re)nommée X cursion dans la philosophie me renvoie à cela :
je pense en voyant les personnages, ce livre lu par lui, cette lumière post-endormie pour elle, au vers de la petite brise de Stéphane Mallarmé, ici peint par Manet, qui hélas n’est plus en âge d’en faire :
« Hélas, la chair est triste, et j’ai lu tous les livres… » *
Mais je serais tenté d’y attenter comme suit :
Hé lâche ! la chaire est triste, et j’ai vu tous les livres
Hé, lâcheur, l’achard est triste et j’ai lu tous les livres
Hélice, l’achard est à Trieste, détaché de la chair.
Pourquoi les personnages d’Hopper sont -ils si paumés ?
et pourquoi nous renvoient t’ils tant à notre propre errance ?
désarroi de l’absence de sens,
vanité d’un moment
en suspens
comme tant
dans nos existences
Pour Luchini, il serait le «peintre de ce moment où rien n’arrive »
Mais moi, ce que j’en dis, c’est :
Hé, lâche ce livre et reviens à l’origine du monde !
Hélas, la chair est triste et tous les livres m’ont lu
Hélas, la chair est truite et tous les livres m’ont lu
Hélas, lâcheur est triste, tous les livres mont élu
Hélas, l’affaire est christ et l’élu tous les livres
Hélas, la chaire est triste -et les lus – tout les livrent
Hé, las ! la chair est bonne et la fesse délivre
cette femme dort, cet homme lit sans con viction.
Hé, lisse, lâche heure est triste, et j’élus tous les ivres
de tempête
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Levant l’ancre pour une exotique monture !
Dort mira qui pourra
hourra !
On conclura ces aimables agapes par deux autres toiles aimées,
même si baignant plus
dans l’essence de cette banalité banlieusarde hyper-américaine
où l’on ne s’immole pas par le feu,
mais par la consommation :
La jeune fille est là, mord (de lumière l’évanescence de sa robe brûle-pourpoint de 13 heures).
et celle ci :
Je finirai par cette vue de sortie de Grand Palais
demi face de lune de parterre floral hémisphérique à finition jardiniers sourcilleux de leur droit à l’image. A deux pas du Rond-Point des Champs Elysées et de leur théâtre éponyme, revendiquant comme baseline un bien pompeux et déplacé » rire de résistance « sous la houlette de Jean-Michou –Post 68 en version institutionnalisé copain de toutou le monde – Ribes.
Parce que faire de la résistance dans l’hypercentre du 8ième arrondissement parisien, ça se pose là, comme engagement. Mais revenons à nos conclutifs moutons jardiniers :
Quelle baleine à tétons enterraient-ils là à tâtons, sans hâte ni baillons ?
* Pour le savoir, ressuscitons du Mallarmé bien aimé la petite brise marine:
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !