Oscar Niemeyer, architecte capital de Brasilia, surgie du centre du Brésil, au milieu de nulle part, a cassé sa courbe à 104 ans. Son ennemi juré : l’angle droit. Son alliée : la courbe, panachée à un sens du « tout va bien » (cette question réponse : Tudo bom ? tudo Bem !) si brésilien.
Brasilia préfigurant en 1964, avec sa conception, pour l’époque avant-gardiste, aujourd’hui datée le brasier ardent d’une défunte Amazonie à venir..
Préfigurant surtout (Brasilia, pas l’Amazonie), le Brésil à venir,
Le « pais do futuro » aujourd’hui advenu, Brasilia, capitale d’un Etat émergé, triomphant, tendance taux de croissance insolent, avec une femme à la barre, Dilma Roussev, l’actuelle présidente. Après un Lula (voir ici son héritage social), comme elle ancien syndicaliste, pragmatique comme Obama, mais un poil plus sympathique, maybe… En plus, c’est une femme, aussi puissante en Amérique qu’Angela Merkel en Europe.
Mais revenons à notre
Oscar.
L‘archi coco, à 105 ans, condescendit à casser sa courbe,
Et sa vie m’est une fête manifeste !
Car je l’avais rencontré en 2003.
ce qu’il m’inspire latent
est ici couché
en guise de manifeste
entre deux soucoupes
de temps stratosphériques
bien dans sa veine
Spécialiste de la courbe, il ne ploya jamais dans ses convictions. Niemeyer rentre au Brésil au milieu des années 1970, où il continue de travailler, inlassablement. À la fin de sa vie, on estimait à quelque six cents le nombre de projets nés sous son crayon en perpétuel mouvement. Parmi ses dernières réalisations, le Musée d’art contemporain posé en 1996 sur les roches de la baie de Rio, à Niteroi, évoquant les lignes futuristes d’une soucoupe volante. Où je me rendis en 2003 avant d’aller le voir lui, et son profil de vieil aigle chaleureux.
Début 2010, on inaugure un auditorium à Ravello, en Italie et, à Belo Horizonte, le nouveau siège du gouvernement de Minas Gerais est le plus grand bâtiment en béton armé suspendu au monde. L’architecte s’est déplacé plusieurs fois sur ce dernier chantier, mais le 4 février, lors de l’inauguration, il n’est pas là.
« S’il a consacré sa vie à modeler le béton, Oscar Niemeyer a toujours soutenu qu’il « est plus important d’aller protester dans la rue que de faire de l’architecture ».Et qu’il voulait changer »ce monde de merde« . Le vieux militant, membre du Parti communiste pendant quarante-cinq ans, n’a jamais abandonné ses idéaux.
À la fin de sa vie, il soutient le président Lula et son «ami» Hugo Chavez, au Venezuela. Chavez, ce vieux forban manœuvrier qui s’est payé de luxe de défier le monde à lui seul, en don Quichotte post coco assis sur un baril de pétrole assurant sa volonté de puissance isolée.
104 ans, 600 bâtiments, une dizaine toujours en cours, voire 20. Dans son atelier (pas celui d’Hugo C, celui d’Oscar N) avenida Atlantica, Copacabana, ces mots griffonnés sur un mur accompagnent une main tenant une fleur: «Por un mundo melhor.» Pour un monde meilleur.
Et une photo de Lucien Clergue, qui était son ami, au-dessus du bureau où il recevait. Un nu panoramique noir et blanc, une hanche bien galbée, plus Eros que maternité, ou vice versa, des jambes d’une femme allongée sur dune, mer en fond. Juste superbe comme l’aube du monde. Cette photo m’avait fait lui dire que ses courbes à lui, celles de son architecture, étaient comme ses courbes à elle. Il avait ri, il avait nié, il avait dit : « l’architecture n’a rien à voir ».
Et pourtant, il aimait cette idée. Que j’ai retrouvé souvent dans la presse depuis, avec ce qu’elle comporte de facilité, oui. Je l’aimais, ce vieux renard rusé naïf meilleur pas revenu du cocoisme héroïste. Il continuait à soutenir Castro lors de notre entretien, ce que je n’avais pas trop apprécié.
Mais bon, sa fidélité jusqu’au bout à son idéal des origines est très respectable par rapport à tant de personnalités médiatisées louvoyant à vue et au gué des pouvoirs en place. Cette fidélité, en témoignait : dans le couloir menant à son bureau, la photo de son ami dirigeant du PC brésilien liquidé par les services secrets ou quelque homme de main, une vraie photo de martyr noir et blanc effacée, nimbée de blanc. Avec les yeux blancs d’un aveugle due à une surexposition, et le regard tourné vers l’intérieur de l’absolu, les yeux en dedans, probablement du à l’objectif, prise vers 1942. D’autant plus émouvante, cette photo, qu’elle faisait prendre conscience de l’abysse de temps écoulé sous les ponts depuis. 70 ans, et le regard tourné en dedans d’un martyr qui continuait à vous absorber.
Quand j’avais pris congé, après un déjeuner avec son équipe, devant les fenêtres panoramiques, à 180 ° bien tassés, face à la baie et aux rondeurs des morros, collines, pains de sucre, il m’avait dit, (Oscar, pas le fantôme, du martyr) de sa voix gutturale s’échappant d’une gorge de varan précentenaire (en 2003, il avait 98 ans) :
-« Tu rrrrreviens quand tu veux, Christophe ».
Ce qui m’avait profondément touché. C’était là une manifestation de cette chaleur bien brésilo-portugaise, ou disons latine, qui m’est chair. Et chère. Hélas, je ne reviendrai pas de sitôt le voir. Voici une émission à lui consacrée par France Cul’, à supposer que le lien marche encore :
Je numériserai bientôt tous les clichés argentiques pris ce jour-là de lui et de son MAC d’en face (Museu de Arte Contemporaneo) de Niteroi, sur l’autre rive. Ce drôle de bâtiment en forme de soucoupe volante jamais loin du décollage. J’aime particulièrement une des photos du bâti avec , au premier plan, des chèvres,elels les sabots bien sur terre…
Et puis, pour revenir à Oscar et son obstination coco datée,
j’ajouterais que la soif d’idéal, même coco-datée, même coco-périmée
Cristallise un besoin d’utopie renaissante,
vaudra toujours bien mieux à mes yeux
(en tout cas dans ceux d’Oscar)
que le pragmatisme résigné de l’époque
la jouissance hédoniste faute de mieux
de la vie en soldes
La progression au sein d’entreprises ineptes et inhumaines
ou le positivisme à l’américaine à trois dollars le lot de douze pensées…
Que la coco de l’instant, l’adrénaline des records sportifs dérisoires,
le culte de la vitesse et de l’instantané
techno-idolâtre en guise d’utopie high tech, low thinking.
Que le iphone, icône planétaire creuse,
tour de Babel de tous les contenus, surtout les plus creux (mais pas que).
Qu’un Smartphone comme Madone rayonnante d’une illusoire – et grisante – ubiquité.
Que les mails s’entassant sans fin dans des boîtes sans cerveaux,
diminuant leur temps de pensée disponible.
Rognant la concentration à force de dispersion hédoniste résignée, comme dans le cas de votre modeste serviteur, j’ai nommé ouam.
Qui ne vaut pas mieux (mais pas moins) que mes contemporains !
Que la scène contemporaine d’un monde considéré comme
une régie pub Cac 40 100 % pur jus de lobby et de spam.
Qu’un plan de com’ – planétaire.
Qu’un plan de com’ de crise planétaire.
Qu’une « Coachin’ box » et un énième communiqué reçu, énième site web thématique baptisé « Happy » quelque chose avec deux oo ou deux aa dedans pour faire zazzy.
Pour caddy bohème heureux, consom’acteur smart ne se prenant pas la tête. Juste son Smartphone. Sa pensée aphone. Casse-toi pauvre com’ !
Je préfère la manufacture d’utopies mortes
(à réinventer chaque printemps)
à l’actu des stars en guise de religion médiatoc
et à l’imposture de l’expertise poseuse !
à bas les i-cônes consuméristes
vive la croissance intérieure
NB: zut, j’ai déjà l’impression de poser !
Or dieu (ou son absence) sait que je hais les postures,
les prises de posture
i’m all lost in the supermarket !
i’m all lost in the world wild web supermarket
I can no more shop happily !
(démarcation sur un air de Clash)
Vive Versa !
PS : Casse-toi pauvre com’ ! : voila ce que l’on serait tenté de dire au monde à plans de communication assurdissants d’aujourd’hui.
Rien à voir, mais je repense aussi au livre écrit par Ztefan Zweig, l’écrivain juif allemand qui se suicida à Petropolis avec sa femme en 1942, dans la villa brésilienne où ils avaient immigré pour fuir l’Allemagne Nazie, après avoir en vain espéré y tromper ses tourments. Zweig qui semblait s’être ainsi immolé sur l’autel d’une mauvaise conscience allemande, littéraire, comme une façon d’expier à distance le mal nazi. Zweig qui, ironie du sort, ressemblait au roquet Hitler, finition petite moustache comprise… alors qu’il était son absolu contraire.
Ici, le post sur ma rencontre avec Oscar
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Mise à jour du 17/7/16
Déjà honoré pour Brasilia, Oscar Niemeyer (1907-2012) est désormais inscrit au patrimoine mondial de l’Humanité pour ses réalisations en collaboration avec le paysagiste Roberto Burle Marx à Pampulha, au Brésil.
Elément central d’un projet urbain visionnaire de cité-jardin de 1940 à Belo Horizonte, cet ensemble a été construit au bord d’un lac artificiel. Il présente des formes audacieuses qui exploitaient les propriétés plastiques du béton en associant architecture, paysage et peinture. Caractérisé par ses lignes courbes, cet espace de loisirs et de tourisme hébergeait un casino (aujourd’hui interdit), une salle de bal (devenue une salle d’exposition), un club de golf et l’église Sao Francisco de Assis. Cette dernière est faite de trois arches de béton, avec une frise du peintre Portinari.
Il s’agit de la première réalisation de grande ampleur (154 hectares) d’Oscar Niemeyer. C’est lors de celle-ci qu’il a engagé ses réflexions sur ce qui allait devenir Brasilia, la capitale du pays conçue avec l’urbaniste Lucio Costa et construite ex nihilo entre 1956 et 1960.
Diaporama de Pampulha ici :